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1 mai 2014 4 01 /05 /mai /2014 14:30

Sennett - EnsembleRichard SENNETT

Ensemble, pour une éthique de la coopération

Albin Michel, Paris, 2014, 378 p.

 

Richard Sennett est un des plus brillants sociologues contemporains. Il enseigne cette discipline à la New York University et à la London School of Economics et a publié une dizaine d’essais ainsi que trois romans. Cet ouvrage s’inscrit dans une trilogie consacrée à l’homo faber, dont il constitue le deuxième volet après Ce que sait la main, la culture de l’artisanat.

 

Abordant la coopération, Sennett note combien c’est la cité qui oblige à penser aux autres et à traiter avec eux mettant en jeu des « compétences dialogiques »,compétences fondatrices de l'intelligence collective sur laquelle nous fondons d'importants espoirs.

 

Dans le monde contemporain, elle subit le poids d’un contexte de plus en plus inégalitaire. En matière de travail, elle est aussi influencée par le court-termisme et le changement permanent qui engendrent des relations sociales superficielles et renforcent de l’effet silo. Ce faisant, « nous perdons les compétences indispensables à la bonne marche d’une société complexe », diagnostique l’auteur.

 

Pourtant, en se référant à Erikson, il souligne combien la conscience de soi émerge dans le cadre de l’expérimentation et de la communication avec les autres.

 

Coopération façonnée

La prise de conscience des autres se produit dans la tête du citadin et Sennett souligne que « sauver la face est un rituel de coopération » commun qui permet aux forts et les faibles de se retrouver dans un code d’honneur commun.

 

Selon l’auteur, ce qui compte dans les relations sociales, c’est l’expérience ordinaire. Faisant lien avec son précédent ouvrage, il célèbre alors les solidarités d’atelier, nées il y a six mille ans en Mésopotamie, où l’on conseille plus qu’on dirige. Dans ce contexte, la coopération s’appuie sur des « rituels vivants ». C’est pourquoi, à la suite de l’historien Keith Thomas, il emploie le mot enactment – « énaction »- plutôt que « présentation de soi » pour décrire l’extériorisation à l’œuvre dans les rituels ».

 

Parmi ces rituels, Sennett s’intéresse à la propagation du langage diplomatique qui représenta un changement de fond dans la sociabilité par le passage de la chevalerie à la civilité, au XVIème siècle. Elle se manifeste très tôt par ce que l’on nomma la sprezzatura, c’est-à-dire une certaine désinvolture cachant l’effort et favorisant la sociabilité par un « moi plus discret » allégeant la pression dans les négociations. Parallèlement, la courtoisie marqua un changement profond dans la civilisation. La clé de ces changements réside dans la maîtrise du corps et des comportements dans un large mouvement réprouvant la spontanéité : « plus qu’un trait de personnalité, la civilité est un échange dans lequel les deux parties veillent à ce que la rencontre soit mutuellement plaisante ». Et, bien évidemment, la diplomatie fit de ces codes naissants un usage professionnel : évitement du triomphalisme, expression sur un mode subjonctif, gestion du silence.

 

Triangle social

À rebours de cette évolution, les sociétés américaine et européenne actuelles, « ont moins de cohésion qu’elles n’en avaient ne serait-ce qu’il y a trente ans, moins de confiance dans les institutions, et moins de confiance dans les leaders (…) les gens « hibernent » et la participation passive est désormais la marque de la société civile ».

 

Sennett compare cet état de fait avec la Chine. Devenue agressivement capitaliste, elle a cependant su conserver son code de cohésion sociale, le guanxi, un réseau relationnel complexe, cultivé avec subtilité et qui renvoie à une notion de Devoir ou d’Honneur. Même si les membres du réseau se chamaillent, ils se sentent obligés d’être secourables. C’est là un lien durable dans lequel un service rendu en appelle un en retour, à long terme, dans le cadre d’un lien prolongé de génération en génération. Et, une personne qui se refuserait à solliciter de l’aide serait considérée comme affectée d’une lourde tare constitutive d’une peur d’être insérée dans la société.

 

Dans nos contrées, où l’inégalité est intégrée dès l’enfance avant de se rejouer à travers la consommation, la comparaison envieuse exploite le complexe d’infériorité de gens ordinaires, lesquels n’éprouvent pas le sentiment d’obtenir une reconnaissance et cultivent une piètre estime d’eux-mêmes. Cet état de fait rompt avec le mode de relation qui assurait la stabilité de la civilisation industrielle dont Sennett considère qu’il formait un « triangle social » : d’un côté une autorité acquise par les patrons corrects ; d’un autre un respect mutuel entre les salariés partageant la même vie ; et, enfin, la coopération quand survenait une crise (soutien entre salariés, engagement pour faire face aux pannes…).

 

Aujourd’hui, l’économie se trouve surtout animée par une industrie financière, « activité de grand stress, qui astreint les gens à de très longues heures de travail au point de sacrifier les temps pour les enfants, les conjoints et les plaisirs de la vie sociale ». Après la crise,  ils sont très amers d’avoir joué le jeu de l’industrie financière à ses conditions à elle. Ils ont compris combien ils avaient peu de respect pour leurs anciens dirigeants, combien la confiance dans leurs collègues de travail était superficielle et à quel point la coopération s’était révélée faible.

 

Solidarités feintes

De surcroît, pour que le triangle social puisse se rétablir, il faudrait des institutions relativement stables, ce qui est rarement le cas dans les formes récentes du capitalisme que Bennett Harrison nomme le « capital impatient ». « Le court terme a restructuré la nature même du travail, analyse Sennett. De nos jours, le marché du travail a remplacé les carrières durables par des tâches à court terme. (…) Même s’il est employé à plein temps, le jeune diplômé de niveau moyen peut s’attendre à changer au moins douze fois d’employeur au cours de sa vie active et à changer au moins trois fois sa « base de compétence » ; celles dont il a besoin à quarante ans ne sont pas celles qu’il a acquises à l’école ».

 

Autrement dit, « au cours de la longue période d’expansion de la finance, la stabilité est devenue un stigmate ».L’isolement s’est installé, dans un contexte d’effets silo. Or, il est l’ennemi évident de la coopération. Quant au travail en équipe prévalant actuellement dans les entreprises, « il implique un comportement social transportable que les membres de l’équipe devraient pouvoir pratiquer n’importe où et avec n’importe qui ». Se développent donc des « solidarités feintes ».

 

Autre effet du travail contemporain : le leadership abdique de l’autorité, sans pour autant renoncer au pouvoir ou aux avantages. Il demande des reportings simplifiés sans chercher à s’investir dans le travail réel des strates inférieures. D’où l’extension des angoisses de rôles provenant de situations dans lesquelles les gens jouent les rôles qui leur sont attribués tout en doutant d’eux-mêmes ou encore de phénomènes marqués de dissonance cognitive.  Pourtant, la réduction de l’angoisse passerait par la neutralisation des stimulations, donc l’ennui, l’apathie, le retrait, voire la dépression.

 

Incorporation de la relation

Le travail physique traditionnel, instille, pour sa part, un comportement social dialogique. « Le processus se produit dans le corps des artisans ; dans le jargon des sciences sociales, on établit un lien entre le physique et le social en employant l’affreux mot d’embodiment, « incorporation ». « Montrer passe avant expliquer » et les gestes « informels rattachent et lient les gens émotionnellement ».

 

Dans le travail manuel, la solution la plus efficace consiste à recourir à la force minimale nécessaire pour réaliser l’opération (ex. compter sur le poids du marteau plus que sur la force du bras). Cette approche de la résistance s’impose dans le comportement social dialogique : il faut éviter l’excès d’aplomb et, dans un jeu à somme nulle, il faut veiller à ce qu’il restera au perdant pour qu’il puisse rejouer et que l’échange se poursuive.

 

Ces expériences conduisent à une « diplomatie quotidienne » qui « est une façon pour les gens de faire face à une chose qu’ils ne comprennent pas, avec laquelle ils ne peuvent établir de rapports ou sont en conflit » ; leurs « efforts reposent sur la suggestion plutôt que sur le commandement » qui fait progressivement entrer la part de l’autre dans le raisonnement, à la façon socratique.

 

Ces différents codes de civilité substituent la discussion au conflit ouvert. Se pourrait-il alors que la coopération constitue une nouvelle stratégie de résistance face aux emportements de l’économie mondialisée ?

 

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9 avril 2014 3 09 /04 /avril /2014 09:15

La VoixJacques Derrida

La voix et le phénomène

 

PUF, coll. Quadrige, Paris, 1967

 

Fidèle à ses habitudes, Jacques Derrida se glisse entre les pages d’un grand ancien. Ici, Edmud Husserl, le fondateur de la phénoménologie dont il explore, commente et s’approprie les réflexions sur la voix en tant que signe apparaissant dans le monde.

 

Il s’introduit dans cette pensée par la dénonciation de la confusion qui recouvre le mot de « signe ». Celui-ci, en effet, vise à la fois le concept d’expression et celui d’indice. « Toute expression serait donc prise, comme malgré elle, dans un processus indicatif. Mais le contraire, reconnaît Husserl, n’est pas vrai », relève Derrida. Nous devons donc « avoir déjà un rapport de pré-compréhension avec l’essence, la fonction ou la structure essentielle du signe en général » et l’on peut en déduire « que la catégorie du signe en général n’est pas un genre mais une forme ».

 

Ainsi, les expressions sont-elles des signes qui « veulent-dire ». L’expression est extériorisation. Le signe en lui-même ne contient donc pas ce qui relève d’autre chose que l’expression, telle la manifestation des vécus psychiques. Et un signifiant doit être reconnaissable dans sa forme et permanent. Cette permanence est reconnue par Husserl comme idéalité au point que l’on peut dire que « l’être est déterminé comme idéalité, c’est-à-dire comme répétition ».

 

En conséquence, en s’exprimant, « le sujet ne s’apprend rien sur lui-même » et la voix est un objet qui s’entend dans l’immédiateté. « Cette présence immédiate tient à ce que le « corps » phénoménologique du signifiant semble s’effacer dans le moment même où il est produit ».

 

Cette approche offre l’occasion à Derrida d’exprimer son célèbre concept de différance. Il entend là, « l’opération du différer qui, à la fois, fissure et retarde la présence, la soumettant du même coup à la division et au délai originaires. La différance est à penser avant la séparation entre le différer comme délai et le différer comme travail actif de la différence ». Elle introduit dans la conception du Je posée par Descartes, cette dimension temporelle essentielle : « ma mort est structurellement nécessaire au prononcé du Je ». Pour Derrida, l’être est une présence, un « présent-vivant, concept indécomposable en un sujet et un attribut » qui permet d’énoncer « l’absence de limites de la raison objective ».

 

Détournée, sans doute, parfois difficile, cette approche phénoménologique n’en pose pas moins le sujet agissant dans son présent. Tout ce qu’en tant que coach nous entendons ré-évaluer.

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25 août 2013 7 25 /08 /août /2013 16:25

La Voie 

 

Edgar Morin

La voie – Pour l’avenir de humanité

Fayard, 2011.

 

 

Le Bouddhisme, le zen, les philosophies orientales sont à la mode. Edgar Morin n’y échappe pas en intitulant son ouvrage « la Voie » et en le plaçant sous la lumière du proverbe zen, « la grande Voie n’a pas de porte. Des milliers de routes y débouchent ». Mais, le plus intéressant dans ce texte tient dans la reprise que fait de son approche systémique. Une occasion pour nous de renouveler la promenade à travers ce qu’il nomme la pensée complexe.

 

À titre de prolégomènes, il faut constater la difficulté qui existe à penser le présent, d’autant que les processus en cours sont accélérés et que nous nous trouvons face à leur mondialisation laquelle, tout en s’étendant à l’intégralité de la planète ou peu s’en faut, induit d’innombrables inter-rétro-actions entre de nombreuses dimensions (économiques, sociales, démographiques, politiques, idéologiques, religieuses…). Parallèlement, nous devons considérer nos carences cognitives liées, notamment, à la désintégration-spécialisation de la connaissance et aux limites du l’occidentalo-centrisme. Ces carences ne nous permettent pas d’embrasser convenablement la crise complexe à laquelle le monde est confronté : désintégration des empires, crise écologique, démographique, crises des croyances et crises du progrès et du développement.

 

Vers l’abîme ou la métamorphose ?

 

Certains peuvent en déduire que nous courons vers l’abîme. D’autres, comme Morin, tentent de trouver, à travers un certain nombre de signaux faibles et malgré les risques existants, les voies et moyens d’un rebond de l’humanité. Car, « quand un système est incapable de traiter ses problèmes vitaux, il se dégrade, se désintègre ou alors il est capable de susciter un méta-système » apte à le métamorphoser. Or, il existe déjà, sur tous les continents, un bouillonnement créatif, une multitude d’initiatives locales, allant dans le sens de la régénération dans tous les domaines évoqués. Toutefois, elles demeurent dispersées et s’ignorent les unes les autres quand il faudrait les recenser pour ensuite les relier et les stimuler.

 

En lieu de quoi, notre mode de connaissance nous limite à des oppositions binaires : mondialisation / démondialisation, croissance / décroissance… S'il faut que se constitue la conscience de notre communauté de destin (la « terre-patrie », pour reprendre l’expression de Morin), il faut aussi promouvoir simultanément le global et le local à travers, l'alimentation de proximité, les artisanats locaux, les commerces de proximité, le maraîchage périurbain, les communautés locales et régionales. Du même coup, le monde humain doit évoluer en spirale, retourner partiellement au passé pour repartir vers le futur.

 

L'orientation croissance/décroissance signifie qu'il faut faire croître les services, les énergies vertes, les transports publics, l'économie sociale et solidaire, les aménagements d'humanisation des mégapoles, les agricultures et élevages fermiers et biologiques, mais décroître les intoxications consommatoires, la nourriture industrialisée, la production d'objets jetables et non réparables, le trafic automobile, etc.

 

Les raisons d’espérer

 

À regarder le monde aller, Edgar Morin aperçoit cinq raisons d’espérer :

 

1 – le surgissement de l’inattendu et l’apparition de l’improbable qui nous ferait brusquement changer de paradigme ;

2 – les capacités auto-régénératrices de l’humanité ;

3 – les vertus de la crise susceptibles de pousser le système jusqu’à sa déstabilisation libératrice ;

4 – le fait « la où croît le péril, croît aussi ce qui sauve » ;

5 – l’aspiration multimillénaire à l’harmonie qui pourra rejoindre la Voie vers la métamorphose.

 

On le constate, une compréhension systémique du fonctionnement de notre époque, ajoutée à un certain optimisme fondé sur les capacités de régénération, présentes dans l’homme et la société, permettent à l’auteur d’envisager une approche conceptuelle convaincante et porteuse d’espoir. À l’évidence, les solutions concrètes qu’il s’impose d’esquisser peuvent laisser plus sceptique.

 

Les voies de la Voie

 

Reprenant diverses propositions formulées dans des ouvrages antérieurs, il appelle de ses vœux, pour commencer, une réforme politique qu’il nomme la « politique de civilisation » (dont N. Sarkozy avait occasionnellement repris la formule mais pas les orientations). Celle-ci commencerait par une « politique de l’humanité », fondé sur le caractère indissoluble de l’unité et de la diversité humaine, conjuguant une réforme de l’ONU, une politique de soutenabilité et un meilleur partage du développement.

 

Elle se prolongerait, en matière économique, par un « conseil de sécurité économique » assurant la régulation planétaire des mouvements financiers et le développement d’une économie plurielle. S’y ajouteraient des réformes sociales allant de la dé-bureaucratisation à la lutte contre la misère au niveau mondial associées à un renforcement des instances locales.

 

En termes de pensée, une réforme s’impose fondée sur la reliance des connaissances aujourd’hui éparses, associée à une réforme de l’éducation. Enfin, une « réforme de la vie » est souhaitée fondée, notamment, sur la réduction de l’urgence et du mouvement de « prosaïsation » de la vie. Le tout serait couronné par une réforme morale appuyée sur la réduction des égoïsmes, le civisme et une « éthique du genre humain ».

 

La nécessaire approche stratégique du changement 

 

Il est clair que, si certaines orientations sont souhaitables, dans le passage de la pensée à l’action, Edgar Morin reproduit la difficulté traditionnelle du « prince-philosophe ». Notamment parce que, contrairement aux fondements mêmes de sa théorie, il abandonne la pensée systémique pour retrouver une approche causale dès lors qu’il s’agit de songer aux mises en œuvre possibles. Il néglige également la dimension stratégique qu’il conviendrait d’introduire dans une philosophie systémique de l’action, tant il est vrai que toute évolution ne suit pas un cours régulier non plus que, même réussie, elle n’atteint jamais son objectif optimal et s’installe dans des solutions sous-optimales mais acceptables que les anglo-saxons nomment le satisficing.

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12 août 2013 1 12 /08 /août /2013 20:00

Varela - Inscription corporelleVARELA Francisco, THOMPSON Evan, ROSCH Eleanor,

L’inscription corporelle de l’esprit, Sciences cognitives et expérience humaine,

Ed. du Seuil, Paris 1993,

Trad. de l’anglais par Véronique Havelange, 382 p.

 

 

Varela se place dans la tradition phénoménologique de Merleau-Ponty et de ses héritiers sur la scène contemporaine : Derrida, Bourdieu. Il intrique cette généalogie intellectuelle avec la tradition bouddhique pour interroger les sciences cognitives contemporaines. Dans ce but, il développe le concept d’enaction pour développer une conception de la cognition comme action incarnée, mettant ainsi en relief la corporéité de la conscience.

 

La cognition, un processus phénoménologique

 

Nous n’avons pas conçu notre monde. Nous nous trouvons simplement en lui », constate-t-il. Et la cognition s’élabore sous la forme d’une représentation mentale permettant la manipulation de symboles. Cependant, les sciences cognitives, issues de la cybernétique, tendent à représenter cette manipulation sur le modèle d’une computation. Or, pour Varela, la cognition se présente plutôt comme un dispositif distribué, un ensemble auto-interprétant qui s’auto-organise. Il s’appuie pour soutenir sur les connaissances récentes relatives au fonctionnement du cerveau. Il affirme que le soi n’est pas transcendantal (cf. Kant), non plus qu’une « chose pensante » (Descartes) mais un processus qui relie la personne au monde à travers l’expérience qu’elle en fait (cf. phénoménologie de Merleau-Ponty). Le soi n’est donc pas un invariant, mais une construction connectée au monde.

 

Dans cette perspective, Varela propose de concevoir la cognition comme une voie moyenne (notion d’inspiration bouddhiste) qui remet en question l’idée qu’il puisse exister un modèle homogène de l’esprit mais qu’au contraire se conjuguent à la fois un fonctionnement largement distribué et une « isolation » des mécanismes qui maintiennent séparés les divers processus. Ainsi, chaque maillon d’une chaîne conditionne les autres en même temps qu’il est conditionné par eux.

 

Un des intérêts de se référer à la voie bouddhique consiste à « dépasser l’attachement émotionnel au moi ». Inutile de supposer un monde pré-donné (« « réel ») et un soi centralisé, car, fait observer l’auteur, nous ne pouvons pas nous tenir à l’extérieur de nous-mêmes pour évaluer le degré de correspondance que nos représentations pourraient avoir avec le monde.

 

Toutefois, le monde n’est ni un objet, ni un événement. « Le monde se présente plutôt comme un arrière plan – un cadre, un champ qui englobe notre expérience, mais qui ne se laisse pas saisir en dehors de notre structure, de notre comportement et de notre cognition. De ce fait, ce que nous disons sur le monde en dit au moins autant sur nous-mêmes que sur le monde ».

 

Évidemment, ceci ne va pas sans un sentiment d’angoisse qui provient du besoin de fondements sûrs. Tel est d’ailleurs l’objet constant de la philosophie occidentale, par opposition à la « voie moyenne » de la tradition bouddhique. « L’absence de fondement est la condition même du monde richement tissé et de l’interdépendance bigarrée de l’expérience humaine », soutient Varela.

 

Un monde co-élaboré

 

Reste, et c’est la thèse centrale, que notre cognition est incarnée, ou enactée, pour reprendre son terme. Car, « il faut inévitablement conclure que le connaissant et le connu, l’esprit et le monde se situent en relation l’un avec l’autre par le biais d’une spécification mutuelle ou d’une co-origination dépendante », explique Varela. Le monde et le sujet percevant se déterminent l’un l’autre, comme la poule et l’œuf.

 

Pour l’auteur, il s’agit là de contourner le dualisme du rationnel et du subjectif, de l’intérieur et de l’extérieur en regardant la cognition comme un processus co-élaboratif et incarné. « La perception, précise-t-il, n’est donc pas seulement enchâssée dans le monde qui l’entoure ni simplement contrainte par lui ; elle contribue aussi à l’enaction de ce monde environnant ».

 

De même en matière d’évolution, les successeurs actuels de Darwin considèrent aujourd’hui qu’elle est moins le fruit de la « sélection naturelle » que la résultante d’un champ de forces. Pour Varela, l’évolution est le résultat d’une « dérive naturelle ». Elle représente, en matière d’évolution, la contrepartie biologique de l’enaction. Elle conduit d’abord à « passer d’une logique prescriptive à une logique proscriptive, c’es-à-dire de l’idée que tout ce qui n’est pas permis est interdit à l’idée que tout ce qui n’est pas interdit est permis ». Ensuite elle permet de regarder le processus évolutif en terme de satisficing, c’est-à-dire à l’adoption de solutions sous-optimales mais acceptables, plutôt que d’optimisation. Voilà un regard neuf sur la question de l’évolution.

 

Une systémique enrichie

 

D’une façon générale, l’environnement ne peut pas être séparé de ce que sont et de ce que font les organismes qui le compose. On trouve donc ici une conception systémique très extensive qui s’intègre parfaitement et nourrit la pratique du coach. Cette approche débouche « sur une conception qui voit les capacités cognitives comme inextricablement liées à des histoires vécues, un peu à la manière des sentiers qui n’existent que dans la mesure où on les trace en marchant ». « D’une manière générale, l’approche par l’enaction se distingue par le fait de substituer à un programme orienté vers la résolution d’une tâche explicite un processus qui s’apparente à une évolution par dérive naturelle ».

 

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13 octobre 2012 6 13 /10 /octobre /2012 11:10

Billeter-Un-paradigmejpeg.jpegJean François Billeter

Un paradigme

Éditions Allia, Paris, 2012, 126p.

 

 

Billeter traverse les frontières du dualisme qui nous imprime si fortement sa marque. Entre le corps et l’esprit, l’inné et l’acquis, la nature et la culture, il joue à saute-frontière à travers cette zone impensée de la philosophie européenne et s’appuyant pleinement sur son intime connaissance de la pensée asiatique (voir notamment, Leçons sur Tchouang-tseu et Chine trois fois muette).


 Du corps à la pensée (aller-retour)

Ainsi explore-t-il la continuité existante entre la pensée et le geste, comme celui, si quotidien, de verser de l’eau d’une carafe dans un verre. À travers la description minutieuse de cette action, il montre ce qu’il nomme le « travail d’intégration » entre le corps et l’esprit (qu’il appelle « imagination », c’est-à-dire la faculté dont nous disposons de produire en nous des images porteuse de signification). Soit la réverbération mutuelle de l’acte en train de se faire et de la pensée en train de le penser en vue « de nous représenter l’ensemble de notre expérience de façon cohérente » (p.22) qui crée la puissance agissante. « Lorsque la conscience se fait pure spectatrice, ne devient-il pas évident que c’est le corps qui agit (…) ?», interroge-t-il (p. 46).

 

L’idée elle-même se présente alors comme une manifestation incertaine à laquelle le mot donne une forme définie et stable à laquelle l’écriture vient ensuite donner sa permanence. « Par cette double transformation, l’idée accède à la durée », note-t-il (p.25). Mais, en lui conférant sa forme, le mot crée la chose. Ce travail d’objectivation fixe la chose en soi en cette chose telle que nous l’imaginons pour entrer en relation avec elle. Partant de cette analyse, JF Billeter distingue le monde (l’ensemble des choses parmi lesquelles nous vivons) de la réalité (ce qui existe hors et indépendamment de nous) pour comprendre que, dans une même réalité, nous puissions vivre dans des mondes différents. « Sans le langage, il n’y aurait pas de pluralité des mondes », affirme-t-il. Et « qui dit pluralité des mondes dit conflit des mondes » (p.31).

 

Du sens à l'agir

Une analyse dont il n’est pas besoin de souligner l’intérêt éthique pour tous ceux qui font profession de s’intéresser aux autres et de les accompagner. D’autant que creusant encore le filon, Jean-François Billeter ajoute plus loin que « c’est l’intégration qui crée la vie » (p.71). Entendons ici que le lien intime unissant le corps et l’esprit est à l’origine de l’agir humain.

 

Pour l’auteur, le sens d’un mot s’élabore, tout comme la pensée, dans la synthèse que produit notre imagination en unifiant des sensations, des souvenirs et une somme d’expérience. « Il n’y a donc de sens qu’au sein de notre activité, lorsqu’elle atteint un certain degré d’intégration », complète-t-il (p. 103). Voilà donc qui fonde en philosophie une bonne part des démarches « new age » dont on mesure combien elles visent à rendre vivable la réalité durcie et précipité dans laquelle nous baignons. D’ailleurs, souligne-t-il avec justesse, « la crise actuelle pose avec une acuité sans précédent la question des fins » (p.115) et ce qui se noue en nous réplique ce qui se joue dans la société.

 

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18 mai 2012 5 18 /05 /mai /2012 17:39

Roustang GesteIl suffit d'un geste

François Roustang

Odile Jacob, 2003



Une question : qu'est-ce qui guérit le mieux, les mots ou les gestes? La parole ou le mouvement? C'est le thème qui anime depuis plus de vingt ans François Roustang, philosophe et psychanalyste de formation, hypnothérapeute dans sa pratique.

Il est vrai que l'idée d'hypnose fait frémir, car elle traîne dans son sillage un parfum manipulatoire et l'idée d'une perte de contrôle de soi-même. D'emprise. Or, ce que propose François Roustang, avec prudence et lenteur - à l'image de sa pratique, j'imagine -, c'est précisément de nous déprendre de cette tentation de contrôler notre vie en la pensant et en l'accoutrant de mots.

Tout au contraire, sa pratique s'assimile à une "déparole qui vise à faire perdre aux mots toute signification. La parole est ici utilisée à l'envers pour introduire à l'expérience qui est non pas la recherche de sens, mais une entrée de la perception de la personne tout entière dans le sens de la vie". En somme, préférer le geste à la parole.

Il est vrai que, depuis la Renaissance au moins, nous avons considéré que la conquête de l'individuation passait par la pensée de soi quand les gestes nous rattachaient au faire et au servage. Mais, ce faisant, nous avons négligé la dimension kinesthésique du vivre. Et du penser.


Fauteuil ou divan ?
À la suite de l'expression de ces positions François Roustang introduit un premier débat, celui de la posture du patient lors de la cure. On sait, en effet, le rôle du divan chez Freud comme chez Lacan. Ici, tout au contraire, l'auteur considère que la position assise "suppose la vigilance". Comme un cavalier, le sujet retrouve son assiette dans une vigilance ouverte à ce qui advient, holiste plutôt qu'atomiste, au sens où elle demeure attentive au tout et aux relations entre ses éléments. Et simple, en sachant que "depuis que nous sommes sortis de la petite enfance, toute simplicité ne peut être que le fruit d'un long apprentissage".

Deuxième considération fondatrice, le refus de réaliser une archéologie individuelle au cours de la thérapie car les "sentiments, émotions ou souvenirs ne sont que les témoins d'un passé déjà mort". Au contraire, "les maux dont nous souffrons sont pris dans la glace de notre système relationnel". Alors, concentrons-nous moins sur l'objet que sur l'espace, propose François Roustang.

Ainsi le symptôme, objet de la plainte, prendra-t-il son sens en s'immergeant  dans une fluidité que le geste aura préalablement reconstituée. "Cette opération achevée, le symptôme n'a plus besoin d'être affublé d'un sens, il est réinstauré dans le sens et la direction de son état et de sa fonction". Donc, "peu importe de parler ou se taire! L'essentiel est de faire en sorte que la parole ne gêne pas le geste qui unifie la complexité".

Nous devons ainsi considérer que l'acte de nommer induit une diffraction, alors que la cure vise à concentrer l'attention sur la réponse la mieux adaptée au sujet. C'est d'ailleurs pourquoi le changement thérapeutique se repère à la modification du comportement qui posait problème. Et de rappeler cette phrase d'Épictète : "pour faire de quelque chose une habitude, faites-là; pour ne pas en faire une habitude, ne la faites pas; pour vous défaire d'une habitude, faites-en une autre à la place".


Perceptude
Vient alors le conseil, dans sa surprenante simplicité : "demandez à quelqu'un d'accomplir un geste qui prenne en compte tous les paramètres de son existence. S'il le peut en vérité, peu de symptômes résistent. Il en est de même si vous l'invitez à prendre une posture qui fasse disparaître son angoisse ou son mal". Mais, ceci ne se produira que dans la transe qui libère des inhibitions et des clôtures mentales.

Deuxième recommandation : supposez le problème résolu. Par là, le thérapeute communique un optimisme serein au patient, lequel n'est plus invité à penser mais à se mouvoir dans la nouvelle situation.

La parole du thérapeute se fait alors suggestive, évocatrice et ouverte, à la recherche d'images motrices pour passer de perceptions diffractées à la "perceptude", soliste, globale, systémique. Et François Roustang d'ajouter, "l'état d'hypnose, tel que je le comprends, ne serait rien d'autre que la perceptude". Son enjeu premier serait là, passer de la perception à la "perceptude".

Une voie différente de celle du coach en ce sens qu'elle transite par l'hypnose, mais un but proche et des méthodes souvent voisines : vision systémique, supposition du problème résolu, lâcher prise… Et une lecture stimulante pour les coachs et thérapeutes saisis de vertige lors d'une séance qu'ils ont le sentiment de ne plus "maîtriser"...




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13 avril 2012 5 13 /04 /avril /2012 22:38

 

Ch. André Psycho de la peurChristophe André

 

Psychologie de la peur

Craintes, angoisses et phobies


Odile Jacob, Paris, novembre 2005, 368 p.

 

La peur est une émotion fondamentale, c’est-à-dire universelle, inévitable et nécessaire, puisque sa fonction consiste à nous protéger du danger… Sauf si une peur non régulée, que l’on nomme « attaque de panique » vient annihiler les capacités d’action ou de réaction du sujet. C’est à ce thème venu sur le devant de la scène psy que Christophe André, médecin psychiatre à l’hôpital Sainte-Anne de Paris (il y dirige une unité spécialisée dans le traitement des troubles anxieux et phobiques) a consacré cet ouvrage à la fois fouillé et grouillant d’exemples troublants.

 

Un phénomène souvent au travail chez ces patients consiste en ce qu’ils souffrent essentiellement d’une « peur de leur peur ». Et que personne ne vienne repousser l’assertion d’un revers de la main ! Environ un adulte sur deux est sujet à une peur excessive, activée par telle ou telle situation : le vide, l’enfermement, certains animaux, le sang, le regard des autres… La plupart du temps, les personnes concernées déploient des stratégies d’évitement destinées à ne pas se confronter à ces menaces. Cependant, à mesure que se renforce leur peur, celles-ci deviennent très invalidantes.

 

Heureusement, les thérapies comportementales et cognitives permettent désormais d’apprivoiser ces manifestations avec succès et dans un temps relativement limité. On sait, en effet, que le siège de nos réactions émotionnelles se situe dans la partie la plus archaïque de notre cerveau, le cerveau limbique. C’est d’ailleurs pourquoi, comme toutes les émotions, le déclenchement de la peur échappe à notre volonté. Mais, une fois l’alerte donnée, c’est notre néocortex qui décode et régule les émotions. Il peut les bien réguler ou, au contraire, se mettre à dysfonctionner jusqu’à l’anxiété – qui est une peur anticipée – ou encore, dans les cas plus graves, jusqu’à la panique et la terreur. Alors se produit une perte de contrôle sur la peur. C’est ici qu’interviennent les thérapies comportementales qui familiarisent progressivement le sujet avec la source de ses craintes pour en diminuer les effets invalidants.   

 

Apprentissage de la peur

Il semble que quatre grands types « d’apprentissages » puissent faciliter cet apprivoisement :

 

- les événements traumatisants,

- les événements de vie pénibles et répétés, comme des humiliations, des manifestations d’insécurité, 

la transmission par modèles, souvent par la voie parentale,

- l’intégration de messages de mise en garde insistant, en particulier au cours de son éducation.

 

À partir de là, le sujet peut devenir vulnérable à des « attaques de panique ». Celles-ci se trouvent caractérisées par la submersion émotionnelle (il ressent son corps comme une oppression), une attitude psychologique qui regarde exclusivement le monde à travers le prisme du danger et un comportement entièrement mobilisé par la surveillance et la préparation à la fuite. « La peur a de grands yeux », dit un proverbe russe.

 

Face aux processus pré-attentionnels qui ne dépendent pas de la personne, il est difficile d’agir. En revanche, les comportementalistes, par la confrontation progressive avec les situations perçues comme menaçantes, permettent à l’hippocampe et au cortex préfrontal de mieux jouer leur rôle de filtre des alertes lancées par l’amygdale cérébrale. Ainsi, de la même manière que le sujet a « appris sa peur », il apprend à la maîtriser.

 

Christophe André raconte ainsi de multiples situations cocasses à travers lesquelles il lui est possible d’aider ses patients : attitudes incongrues dans le métro, confrontation avec des araignées… Bien sûr, ces thérapies obéissent à des protocoles contrôlés, extrêmement progressifs et répétés, sous peine de risquer l’effet inverse de celui qui est recherché. Avec parfois l’aide d’antidépresseurs dont l’action consiste à augmenter le taux de sérotonine, donc la neurotransmission cérébrale.

 

Exposition à la peur

Ces techniques comportementales ont été inaugurées par Mary Jones, une thérapeute américaine, dès 1924. Le petit Peter, âgé de trois ans, avait développé une phobie des lapins, des rats et des grenouilles. Mary Jones décida de le traiter par deux techniques conjointes : le déconditionnement par habituation progressive et l’imitation des modèles. Durant les séances, l’enfant était installé sur une chaise haute et s’occupait à des activités agréables, comme jouer ou manger ses aliments préférés, tandis qu’un lapin était amené dans une cage. D’abord à l’autre bout de la pièce, puis progressivement plus près. Au bout d’une quarantaine de séances, l’enfant pouvait jouer affectueusement avec le lapin et sa crainte des autres petits animaux avait disparu et ces effets furent durables.

 

Parmi les méthodes d’exposition auxquelles recourent Christophe André et son équipe, les plus classiques concernent des expositions situationnelles, sur le modèle de celle de Mary Jones. Ils utilisent également des expositions intéroceptives basées sur le déclenchement de sensations liées à un réflexe de peur (vertiges, par exemple). D’autres fois, ils font appel à l’imagination des sujets, voire à des expositions par imagerie virtuelle, lorsque les méthodes in vivo sont impossibles.

 

Il est également possible de traiter avec succès les phobies sociales, souvent considérées comme les plus invalidantes et les troubles paniques avec agoraphobie.

 

Les peurs et phobies sociales

Les situations sociales provoquant des peurs et phobies se trouvent reliées au regard et à l’évaluation d’autrui. De nombreuses personnes souffrant de peurs sociales « sont fortement marquées par la honte », observe Christophe André. Or, les éthologues ont montré que ces émotions prennent racine dans les rapports de dominance et d’acceptance au sein des groupes animaux. Se joue là une question de statut.

 

Dans ces situations, le sujet est focalisé sur soi au détriment de l’interaction avec les autres et c’est ce que lui apprennent à contrôler les thérapies comportementales et cognitives, avant de développer un travail sur ses pensées et l’acceptation de soi.

 

Voilà une somme d’expériences et de réflexions qui seront très utiles au coach, qui croise sur son chemin nombre de problématiques en relation avec les peurs sociales et leurs effets invalidants.

 

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8 janvier 2012 7 08 /01 /janvier /2012 07:50

Ch AndréMéditer, jour après jour - 25 leçons pour vivre en pleine conscience

 

Christophe André

 

L'Iconoclaste, Paris, 2011

 

 

Voilà, tout simplement dit, un manuel de vie. Comment arriver à être présent à ce qui nous advient, sans nous laisser submerger par les événements du quotidien? Comment s'appuyer sur son souffle et ses perceptions pour accueiller avec bienveillance et détachement les souffrances de la vie sans se laisser submerger? Comment apprendre à savourer un à un les bonheurs, grands et petits, qui confèrent à la vie sa saveur?

 

Christophe André, qui anime à l'hôpital Sainte-Anne de Paris des groupes de méditation pour aider les patients à se libérer de leurs souffrances nous livre, à travers 25 leçons empreintes d'humanité, les clés de la pratique de la peine conscience. Il le fait dans un ouvrage qui se présente comme un objet magnifique, superbement illustré et complété d'un CD pour accompagner les méditations.

 

C'est là une occasion, dans ce siècle précipité, d'arrêter un instant le flot des choses pour vivre mieux.

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12 décembre 2011 1 12 /12 /décembre /2011 23:46

 

Savoir attendreSavoir attendre pour que la vie change

 

François Roustang

 

Odile Jacob poches, 2008

 

 

François Roustang est philosophe et psychanalyste, spécialiste de l’hypnose et il s’interroge sur les effets et le sens de l’analyse. Avec « savoir attendre », il aborde ce qui guérit vraiment à travers un parcours qui s’ouvre sur la disposition à laisser s’opérer le changement. Lequel, en psychothérapie, correspond à « une modification des rapports qu’un individu entretient avec lui-même, avec les autres personnes et les choses de son environnement ». Soit, « une transformation du complexe relationnel dans lequel se trouve inséré un individu ».

 

La première des peurs qui font résister au changement réside en ce que souvent, modifier la situation présente est encore plus pénible que la supporter. Au-moins y sommes-nous accoutumés. En effet, « les humains tiennent plus à leurs souffrances qu’à leur bonheur » et ils sont capables des plus subtiles inventions pour les entretenir. Comme le note François Roustang, « l’assurance ne peut venir au jour que par la perte des réassurances que nous nous donnons à nous-mêmes et à la recherche desquelles nous nous épuisons ». Pour provoquer le changement, il faut donc « tourner autour » du sujet pour trouver le point d’appui qui permettra d’activer le changement : c’est au sein du désarroi que la décision de changer peut émerger.

 

Quant au thérapeute, s’il veut éviter de projeter sur la situation son propre regard, il doit se tenir totalement ouvert à toutes les possibilités pour son patient, «être indifférent au résultat et s’attendre aussi bien à un échec qu’à un succès de la cure ». Il trouve là une sérénité qui signifie qu’il n’a pas à partager la souffrance du patient pour être en relation à lui. Puisqu’il ne peut pas inciter son interlocuteur à l’acceptation, il doit l’aider à instaurer une stratégie qui transforme le rapport à l’événement à l’origine de la souffrance. Il s’agit de le placer dans le présent, comme un élément du contexte actuel, de façon à éviter d’en rechercher les causes et de remâcher le passé. Le thérapeute entre alors dans une relation attentive, non pas à l’accumulation des détails racontés mais à l’extrême complexité de la situation : « aucune tentative d’analyse, aucun effort de compréhension, une absence de réflexion, caractérise son attitude. Nous sommes réduits à l’immédiateté du contact, non pas contact avec la souffrance, mais avec la totalité de la personne ».

 

Il s’appuie alors, étrangement, sur un « savoir de l’inaction » qui lui fait « renoncer au pourquoi », au savoir technique et même au psychisme. Le savoir du thérapeute s’intègre alors totalement à lui-même, comme le geste du golfeur devenu tellement naturel qu’il relève d’une forme de nature plus que de science. Littéralement, il laisse « se former un non-savoir, c’est-à-dire un savoir dénué d’intention et de volonté ». Ainsi, « il a cessé d’être le savoir préalable à l’action, il peut maintenant devenir le savoir de l’action qui n’a pas besoin de se savoir, mais qui la dirige à chaque instant parce qu’il se laisse investir par elle ». Dit autrement, il faut faire cesser la réflexion qui risque de compliquer le problème au lieu de le résoudre. Et François Roustang d’ajouter : « la solution d’un problème humain ne s’effectue jamais par une réponse à la question pourquoi ».

 

C’est la raison pour laquelle, « learning ne va jamais sans training ». C’est dans la mise en œuvre des gestes et des actes que s’opèrent les modifications. « On n’a jamais vu que le changement puisse s’opérer autrement que par le changement, et tour changement est un changement dans l’action » insiste François Roustang qui n’oublie pas « il suffit d’un geste », l’un de ses précédents ouvrages traitant de sa pratique de l’hypnose. Lacan, rappelle-t-il, disait souvent que la résistance n’est pas celle de l’analysant, mais celle de l’analyste. Il faut donc « trouver sans chercher ».

 

Cet ouvrage, qui explore avec clarté des notions relatives à la complexité, est, pour le coach, un véritable outil de travail, ou mieux une « voie » à la façon de Lao-Tseu. Par-delà les outils dont sa caisse déborde, il lui indique la seule posture qui vaille dans sa relation à ses clients.

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12 novembre 2011 6 12 /11 /novembre /2011 23:57

EKRSur le chagrin et sur le deuil

 

Elisabeth Kübler-Ross et David Kessler

 

JC Lattès, Paris, 2009

 

 

Élisabeth Kübler-Ross est une femme importante, non seulement parce qu’elle fut la pionnière des soins palliatifs, mais aussi parce qu’elle écrivit de nombreux ouvrages sur le thème du deuil et qu’elle en théorisa le déroulement en cinq phases : le déni, la colère, le marchandage, la dépression et l’acceptation, tout en indiquant immédiatement que « tout le monde ne passe pas forcément par ces cinq étapes et les réactions ne suivent pas toujours le même ordre ».

 

Reste cependant que le management contemporain s’est accaparé l’approche pour la transférer au champ des « deuils professionnels », comme les licenciements ou les mutations forcées. Avec, sans doute, quelques bonnes raisons, tant il est vrai que notre métier nous est identitaire et que nous avons avec lui des liens familiers. Mais également avec une radicalité mécanique qui aime à se rassurer à travers les modélisations.

 

Déni

À commencer par la phase de déni, dont EKR note : « Pour celui qui a perdu un être cher (…), le déni est à prendre au sens symbolique plutôt que littéral ». À noter tout de même qu’il s’agit-là d’un passage important (évidemment d’une durée variable) car « le déni est un mécanisme de protection psychique » face à un événement qui a d’abord procuré une profonde sidération.

 

Colère

Quand survient la colère, il est clair que nous sommes désormais en situation « d’affronter l’avenir sans la personne disparue ». Elle est une bouée à laquelle s’agripper et qui structure temporairement le néant de la perte. Et « plus vous ressentirez de la colère, plus vite elle se dissipera et plus vite vous guérirez », car c’est l’émotion que nous savons le mieux gérer.

 

Mais surtout, dans le deuil comme dans les situations professionnelles, il est inutile d’appeler les personnes à réprimer leur colère car nous les éloignerions de nous. « Exiger de quelqu’un qu’il soit différent, qu’il ressente des sentiments qui ne sont pas les siens, c’est ne pas l’accepter tel qu’il est »… Avis aux dirigeants trop pressés.

 

Marchandage

Surtout, ne prenons pas ce mot au pied de la lettre ! Dans le deuil, il renvoie aux implorations formulées pour que la situation ne soit qu’un mauvais rêve. De fait, il va souvent de pair avec un sentiment de culpabilité de la part de celui qui reste (mais, n’y en a-t-il pas chez ceux qui ne parviennent pas à comprendre une décision managériale qui leur paraît proprement impensable ?).

 

La fonction du marchandage consiste à donner à « croire que nous sommes en mesure de restaurer l’ordre dans le chaos qui a bouleversé notre existence ».

 

Dépression

Après ce temps de marchandage survient un temps de vide. On se replie sur soi, happé par une tristesse immense. Mais, remarque EKR « dans le deuil, cependant, la dépression est un moyen de protection naturel qui engourdit la système nerveux pour que nous puissions nous adapter à une situation apparemment impossible à affronter ».

 

Et, durant cette détresse, ce qu’attendent les personnes qui en sont saisies, ce n’est surtout pas qu’on leur « remonte le moral » mais que l’on sache « prêter une oreille attentive en gardant le silence ».

 

Acceptation

L’acceptation n’est pas, comme beaucoup le pensent, un accommodement de disparition. Progressivement, elle permet seulement de se réorganiser, de « redistribuer les rôles » qu’assurait le défunt. Elle ne consiste pas à voir les choses sous un angle positif, mais simplement à ré-agencer sa vie.

 

Est-elle jamais achevée ? En tout cas « l’acceptation est un lent processus, non pas une phase finale conclue par un point final » alerte EKR.

 

Ainsi, le deuil est-il un lent processus de guérison qui ne transforme en rien la réalité mais qui permet à ceux qui le vivent bien de ré-agencer leur relation avec le monde et la vie.

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Présentation

  • : Le blog de Patrick Lamarque
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Le fil d'Ariane

L'animation ci-dessous présente ma pratique du coaching individuel et d'équipe à destination des dirigeants. En cliquant sur l'image en bas à droite (petite croix) vous pourrez l'ouvrir en mode plein écran et, ainsi, la lire plus confortablement.

 


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Patrick Lamarque est conseil de dirigeants en stratégie, gestion des crises et management du changement. Il est également coach pour dirigeant privés et publics et expert en prévention des risques psychosociaux. Il opère en France et à l’étranger.


Ancien élève à l'Ecole Nationale d’Administration, Patrick Lamarque, dans les années 80, a créé la mission communication interne et maîtrise du climat social à la Ville de Paris, coordonné la communication gouvernementale auprès du Premier ministre et conseillé pour sa communication le ministre de la Défense. Dans les années 90, il dirige la communication de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Bordeaux, puis celle de la Ville et de la Communauté Urbaine de Lyon. Il est ensuite appelé comme Conseiller auprès du Secrétaire d'État à la Défense, puis auprès de la Secrétaire d’Etat aux Personnes handicapées avant d’être chargé de la concertation et de l’accompagnement social à la Délégation Générale pour l’Armement.


Introducteur des études qualitatives dans l’analyse politique il a développé ces méthodes pour structurer une démarche globale de maîtrise du climat interne de l’entreprise. Il a développé une approche novatrice d’entretiens de confrontation pour la résolution de conflits.


À partir de son expérience dans la gestion de la communication de la Défense durant la première guerre du Golfe, il a créé une méthodologie de maîtrise des crises qui a fait ses preuves dans de multiples situations difficiles, lors de crises de changement, de situations d’urgence psychosociale ou de plans de sauvegarde de l’emploi.


Il a enseigné à l’ENA, au CELSA, à l’EFAP, dans plusieurs universités françaises ainsi qu’à l’École Supérieur du Commerce et des Affaires de Casablanca et à l’Université de Buenos-Aires. Il est l'auteur d’une vingtaine d’ouvrages.

 

 

 

Le jardin haïku

 

Quelques beaux poêmes

 

Dans une vieille mare,

une grenouille saute,

le bruit de l'eau.

Bashö (1644-1694)

 

 

Porté par l'obscurité.

Je croise une grande ombre

dans une paire d'yeux.

Tomas Transtromer (Prix Nobel 2011), traduit par Jacques Outin


 

Sur la plage

je regarde en arrière

pas la moindre trace de pas.

Hosai  (1885-1926)

 

 

J'étais là moi aussi -

et sur un mur blanchi à la chaux

se rassemblent les mouches.

Tomas Transtromer (Prix Nobel 2011), traduit par Jacques Outin

 

 

Il n'y a rien

dans mes poches -

rien que mes mains.

Kenshin (1961-1987)

 

 

Un papillon blanc sort
D'entre les rayures d'un zèbre.

Sei Imai

 

 

Plus que de l'aveugle
Du muet fait le malheur

La vue de la lune.

Kyoraï

 

 

Au coucou

Elle ne répond rien

La girouette en fer.

Seiho Awano

 

 

Un papillon
vole au milieu
de la guerre froide
Nakamura Kusatao
 

 

 

Le printemps passe.

Les oiseaux crient

Les yeux des poissons portent des larmes.

Bashö (1644-1694)

 

 

Plutôt  que les fleurs de cerisier

Les petits pâtés !

Retour des oies sauvages.

Matsunaga Teitoku (1571-1654)

 

 

Que n'ai-je un pinceau
Qui puisse peindre les fleurs du prunier
Avec leur parfum!
Shoha
 

 


 

Quelques essais personnels

 

Le bolet doré

au couteau de l'automne

craque mollement.

P.L.

 

 

La nuit est posée

l’hiver gagne la ville –

Frisson de moineau. 

P.L.


 

Un mille-pattes trébuche

-bruit de catastrophe-

entre quelques brins d'herbe.

P.L.


 

Cul grisâtre 

d'une bouteille lancée

dans la mer étroite -

bonjour Trieste.

P.L.

 

 

Goutte à goutte

- loupes hallucinées -

le toit s'égoutte.

P.L.

 

 

Au profond de la nuit

rentrent les meurtriers

le devoir accompli.

P.L.

 

 

Tendu comme un arc,

l'hiver scarifie

d'une autre ride le visage.

P.L.

 

 

Dans la nuit luisante

résonnent des pas

- un chien lève la patte -

P.L.

 

 

Inconsciente,

la rue se rue

vers sa fin.

P.L.

 

 

Au bal de la nuit

aux phalènes,

le pied glisse

sur les cadavres joyeux.

P.L.

 

 

La brume

nappe le relief

du jardin myope.

PL

 

 

Le rictus du caïman

remonte à l'oeil qui pétille.

Sa proie lui sourit.

PL

 

 

Le lacet défait

flâne près du soulier -

Le nez au vent.

PL

 

 

Elle a renversé son sac

à la recherche de ses clés -

Sourire amusé.

PL

 

 

Elle s'est jetée dans l'étang -

La lune abîmée

de désespoir.

PL

 

 

Où va la nuit dans le noir

quand je me retiens

de bouger et de vouloir?

PL

 

 

Le temps de la cigale

stridule sans fin,

puis tombe la nuit.

PL

 

 

Les bras écartés

il surgit de la neige

l'épouvantail brun.

PL

 

 

Aux oiseaux inquiets

l'épouvantail tend les bras -

Je crais pour ma vie.

PL

 

 

Le crabe rougit

découvrant la baigneuse -

L'eau s'est troublée.

PL

 

Le coin des livres


Réalité

Ch. André Psycho de la peur

Bruno


Precht


Billeter

Rencontres


Ch André


Savoir attendre

Gilligan

EKR

Cyrulnik-Morin


Dejours light
Cyrulnik light
Talaouit
41yAu4IM-BL. SL500 AA300
MFH

Daewoo

 


La phrase du moment

Rien n'est plus pratique qu'une bonne théorie - Kurt Lewin.

 

Patrick Lamarque

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