Mon blog professionnel, à l'attention des dirigeants d'entreprises, fait un point régulier sur les questions de management, gestion des crises. Il suit de près l'actualité sociale, les risques psychosociaux et les négociations en cours
Notre société a progressivement développé une sur-exposition de la subjectivité. Les millions de selfies exhibant l'endroit où nous nous trouvions il y a dix minutes, ce que nous avons mangé pour le déjeuner, la starlette que nous avons croisée et jusqu'à la nuit que nous avons passée, témoignent de ce que Serge Tisseron, à la suite de Foucault, nomme l'extimité. À savoir l'exposition publique de son intimité.
Cette disparition de la frontière de l'intime et du public trouve son pendant dans le management contemporain qui se plait à la convivialité sous contrainte autant qu'à l'intériorisation des obligations par les collaborateurs de tous rangs. Comme l'analysait Foucault dans les années quatre-vingt, le pouvoir n'est pas une autorité s'exerçant sur des sujets de droit mais une puissance immanente, productrice de normes et de valeurs. Il est loin le temps où le peintre pouvait caresser le mur tout en sifflotant. Il lui faut maintenant avoir en tête en permanence ses objectifs de production, de qualité, de sécurité et, par surcroît, s'impliquer en multipliant les reportings et les suggestions pour créer de la valeur.
Subjectivité sans frontière
Là où s'élevaient des frontières entre moi et mon travail, ma vie personnelle et ma vie sociale, entre mes pensées intimes et ma consommation, tout se mélange désormais dans une soupe socio-subjective qui m'expose partout et à tout.
Voilà qui répond d'ailleurs aux questions faussement naïves, moult fois entendues, du style "serions-nous devenus si fragiles que nous plongions dans la dépression ou le burn out au moindre conflit interpersonnel ou à la moindre directive jetée à l'emporte-pièce ?"
Plus sérieusement, se répète sous nos yeux la problématique foucaldienne concernant le "régime de vérité", cette part libre et réfléchie du sujet sur son activité propre, constitutive de sa liberté individuelle. Que devient-il, en effet, quand, enserré dans un faisceaux d'obligations impérieuses et indiscutées, nous les regardons non pas comme des contraintes extérieures mais nous les ingérons comme autant d'obligations.
En vain, nous cherchons une porte de sortie, mais toutes sont cadenassées et le piège s'est refermé sur nous-mêmes.