Mon blog professionnel, à l'attention des dirigeants d'entreprises, fait un point régulier sur les questions de management, gestion des crises. Il suit de près l'actualité sociale, les risques psychosociaux et les négociations en cours
On oublie trop souvent qu’il existe une responsabilité associée au fait de vivre en société. Comme le soulignait Theodore Adorno, la « faillabilité » de l’homme constitue le fondement conjoint de sa capacité à agir et de sa responsabilité. Voilà pourquoi, quoique traversée par la compréhension de l’Autre autant que de soi-même, l’exigence de responsabilité s’impose. Elle s’impose à tout individu et, a fortiori, à celui qui, précisément, « exerce des responsabilités ».
Comptable d'une chaîne décisionnelle
Tel est le sens des comptes que doivent rendre les dirigeants à l’égard des conséquences dommageables des actes qu’ils commettent concrètement ou par abstention. La décision de la cour d’appel de Toulouse concernant l’explosion dévastatrice de l’usine AZF, le 21 septembre 2001 vient opportunément le rappeler. Les insuffisances dans l’organisation du traitement des déchets industriels de cet usine ainsi que l’absence d’étanchéité entre les sites de production des fertilisants agricoles (la filière azote) et ceux des produits industriels chimiques (la filière des dérivés chlorés) ont causé des dommages considérables dans l’agglomération et sur certains de ses habitants. Ils engagent donc clairement la responsabilité de ceux qui devaient assurer cette sécurité, à savoir le directeur de l’usine et de l’entreprise Grande Paroisse, propriétaire du site. Ils condamnent cette dernière pour homicide involontaire à la peine maximale (225 000 €) et l’ex-directeur à 3 ans de prison dont deux avec sursis et 45 000€ d’amende. « Ces fautes ont exposé les salariés et la population à un risque d’une particulière gravité qu’il ne pouvait ignorer », analyse le tribunal concernant le dirigeant.
Exercer des responsabilités se résout bien à cela pour un dirigeant : être comptable non seulement de ses propres actes et de leurs effets, mais aussi de toute la chaîne d’autorité sur laquelle ils exercent un pouvoir. C’est en ce sens que même « non coupables », ils sont responsables. Et encore, n’évoquons-nous ici que la culpabilité juridique.
Poids psychologique
Car, en termes psychologiques, même si je ne connais pas ce directeur d’usine, je ne doute pas qu’il porte sa culpabilité jusqu’à son dernier souffle et que ses enfants, voire ses petits enfants après lui soient marqués par cette honte (cf. Serge Tisseron , La honte, et aussi Les secrets de famille).
Je ne suis pas assuré, en revanche, qu’il en aille de même pour les responsables du désastre environnemental provoqué par le naufrage du pétrolier Erika, le 12 décembre1999, qui avait déversé 20 000 tonnes de fioul, appartenant là aussi à Total, sur près de 400 km de côtes atlantiques. Même si, ce 26 septembre, la Cour de cassation a validé les jugements prononcés par la justice française envers Total, la société de classification Rina, l'armateur Giuseppe Savarese et le gestionnaire Antonio Pollara, qui l'avaient tous saisie à la suite de leur condamnation par la cour d'appel de Paris en 2010. Et même si, en outre, elle a condamné Total à "réparer les conséquences du dommage solidairement avec ses co-prévenus d'ores et déjà condamnés".
Responsabilité écologique
Surtout, la Cour confirme à ce propos la notion nouvelle de préjudice écologique. Mais, à la différence de l’accident industriel toulousain, cette responsabilité-là, indépendamment de ses effets potentiels, ne s’incarne pas dans des personnes, victimes directes de l’acte. Aussi, je doute pas que, M. Desmarest, alors président de Total et donc de l’ensemble des ces opérations, tant à Toulouse qu’au large de la Bretagne, n’en ait perdu le sommeil. Son éloignement des situations, vraisemblablement, lui assure une carapace protectrice.
Et pourtant...