Mon blog professionnel, à l'attention des dirigeants d'entreprises, fait un point régulier sur les questions de management, gestion des crises. Il suit de près l'actualité sociale, les risques psychosociaux et les négociations en cours
De nouveau, France Telecom s’installe sur le devant de la scène psychosociale. La mise en examen sous caution de Didier Lombard, l’ex-PDG et de plusieurs autres dirigeants (ainsi que de l’entreprise en tant que personne morale) représente en soi une secousse. Mais, probablement plus lourds de conséquences se trouvent le motif de « harcèlement moral et institutionnel » retenu et le fait que l’affaire soit instruite au tribunal correctionnel plutôt qu’au civil.
Le harcèlement managérial est reconnu depuis 2009
De fait, le magistrat instructeur s’appuie sur deux arrêts de la Cour de Cassation (chambre sociale) en date du 10 novembre 2009 desquels il ressort que les méthodes de gestion mises en œuvre par un dirigeant peuvent constituer un harcèlement moral managérial et que cette qualification n’a pas à tenir compte des intentions de l’auteur pour être constituée. Donc, en soi, cette procédure n’est pas nouvelle, même si elle est exceptionnelle.
En revanche, ce qui serait nouveau si la justice venait à condamner l’ancien dirigeant, c’est que le fait se produise dans une entreprise du CAC 40 et que la « distance » entre le dirigeant considéré comme harceleur et ses victimes soit considérable.
Mais, évidemment, l’effet (les suicides) est bien là et le lien de causalité est constitué, si l’on en juge par un rapport de l’Inspection du travail, daté de 2010 et remis au juge d’instruction. Bien entendu, l’intéressé s’en défend dans une tribune du Monde, datée du 4 juillet, dans laquelle il affirme « je suis conscient que les bouleversements qu’a connus l’entreprise ont pu provoquer des secousses et des troubles. Mais, je conteste avec force que ces plans indispensables aient pu être la cause des drames humains cités à l’appui des plaintes ».
Vers une judiciarisation accrue des relations sociales ?
Il appartiendra à la justice de déterminer si Didier Lombard est ou non coupables du délit dont on l’accuse, passible d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. À moins qu’à la demande des avocats des victimes elle requalifie la faute en « violences ayant entraîné la mort sans l’intention de la donner ».
Il est fort probable, compte tenu du retentissement qu’a connu cette affaire depuis 2009, que cette mise en examen incite à porter plus souvent au pénal les questions de ce type. Et ceci pourrait provoquer un afflux de demandes si l’on considère qu’en France, environ 2 millions de personnes considèrent qu’elles sont ou ont été harcelées !
Mais, n’exagérons pas la menace car, d’une part les magistrats instructeurs peuvent toujours classer une affaire sans suite et, d’autre part, les supposés harceleurs peuvent, eux-mêmes engager des poursuites reconventionnelles sur la base du dénigrement. On peut donc gager que l’augmentation probable des recours n’aura rien d’un tsunami.
Un plan de prévention des RPS chaque fois que l’on souhaitera réorganiser
Il n’empêche que cette mise en cause vient opportunément rappeler qui si les actionnaires ont des droits, le capital humain aussi. Et n’oublions pas que les obligations en matière de harcèlement, qui prennent leur source dans l’article L.1152-1 du code du travail, ainsi que celles liées aux risques psychosociaux prévues dans l’article L. 4121-1 du même code, s’analysent comme des obligations de résultat. Il faut donc conseiller aux entreprises, avec plus de force qu’avant, de mettre en place un plan de prévention des risques psychosociaux à chaque fois qu’elles s’engageront dans des réorganisations significatives : PSE, certes, mais aussi modifications d’organisation comportant des mutations forcées ou des modifications de fonctions non désirées par les salariés.
Il s’agira pour elles de traiter de prévention primaire (i.e. de politique de prévention des RPS), mais aussi -voire surtout- de prévention tertiaire (i.e. accompagnement des personnes en souffrance). De quelques expériences que nous avons suivies ces dernières années, il ressort notamment que la mise en place de psychologues auprès des directions des ressources humaines, en charge de l’écoute et de l’accompagnement professionnel des personnes, permet de passer sans casse majeure des moments aussi difficiles. Voilà une mesure aisée à engager qui permettrait de sécuriser les transitions difficiles et d’éviter des drames comme ceux qui ont frappé France Telecom.