Mon blog professionnel, à l'attention des dirigeants d'entreprises, fait un point régulier sur les questions de management, gestion des crises. Il suit de près l'actualité sociale, les risques psychosociaux et les négociations en cours
Que les crises économiques emportent des conséquences humaines parfois dramatiques, c’est là une évidence dont l’histoire du XXème siècle, tout du long, rappelle l’évidence. On se souvient des traders mettant fin à leurs jours dans leurs bureaux de Manhattan en 1929. Et, sans remonter aussi loin, les liens entre difficultés économiques, surpression au travail et suicides ont malheureusement été rappelés de nombreuses fois ces dernières années.
Jusqu’à présent cependant, ces constats d’évidence demeurent ponctuels : on considère l’impact déterminant de cette relation dans certains cas précis. En revanche, l’ampleur statistique du phénomène est rarement mesuré et ce fut d’ailleurs l’un des détonateurs principaux de la crise chez France Telecom. Or, une étude britannique, publiée dans le British Medical, vient de révéler que les périodes de crise qu'a connu la Grande-Bretagne seraient directement responsables de près d’un millier de suicides dans ce pays.
La démonstration du lien entre chômage et suicide
Les chercheurs des Universités de Liverpool et Cambridge ainsi que la London School of Hygiene and Tropical Medicine ont découvert que pour chaque augmentation annuelle de 10% du nombre des chômeurs, le taux de suicide chez les hommes a augmenté de 1,4%. Entre 2008 et 2010, 846 suicides de plus que la « normale » sont constatés chez les hommes et 155 suicides supplémentaires chez les femmes.
Dans une autre étude, publiée dans les Proceedings of the National Academy of Sciences, des chercheurs australiens de l'Université de Canberra et d'autres institutions ont étudié les données concernant l'Etat de New South Wales sur la période 1970-2007. Ils ont relevé une hausse de 15% du risque de suicide des agriculteurs et travailleurs agricoles âgés de 30 à 49 ans en période de sécheresse.
Dit autrement, le taux de suicide peut augmenter de 8 à 15% en période de crise.
Les centres de prévention des suicides en Grande-Bretagne ont constaté que les appels liés aux difficultés financières des interlocuteurs sont passés de un sur 10 à 5 sur 10 entre le début et la fin de la période étudiée. Pour Ben Barr, du département de Santé publique à l'Université de Liverpool, l'un des auteurs de l'étude, cette hausse du suicide s’explique par les questions de chômage, les soucis financiers, la dette et le coût du logement.
Les hommes plus vulnérables
L’enquête fait également apparaître une propension à l’accroissement des suicides sensiblement plus élevée chez les hommes que chez les femmes. Il faut certainement voir deux causes principales dans ce phénomène :
- le fait que les hommes hésitent encore plus souvent que les femmes à consulter en cas de dépression
- la dimension profondément identitaire du travail dans la construction personnel et son poids relatif supérieur chez les sujets masculins.
Les pays touchés par la crise en première ligne
L’Italie connaît également ce triste phénomène avec 2,792 millions de chômeurs en juin 2012. Selon le rapport de l'institut de recherche Eures «Le suicide en Italie en temps de crise en 2010», plus de 300 artisans, commerçant, 144 entrepreneurs et personnes exerçant une profession libérale se sont suicidés. Les chômeurs sont particulièrement touchés : sur 362 d'entre eux ont mit fin à leurs jours en 2010, 272 d'entre eux venaient tout juste de perdre leur emploi. Un chiffre en hausse de 52% par rapport à 2005.
La Grèce quant à elle, avec 1,147 million de chômeurs en mai 2012, connaît elle aussi une vague de suicides depuis 2007. Alors qu’elle détenait l’un des taux les plus bas d’Europe en 2004 (3,2 pour 100.000 habitants contre 18 pour la France), elle a connu une augmentation rapide. Atlantico rapporte que de 2010 à 2011, les suicides ont augmenté de 45%. L'association Klimaka, qui a créé en 2007 un numéro d'urgence pour les personnes désespérées, a déclaré qu'en 2009 elle recevait 10 appels par jour contre 25 cette année.