Mon blog professionnel, à l'attention des dirigeants d'entreprises, fait un point régulier sur les questions de management, gestion des crises. Il suit de près l'actualité sociale, les risques psychosociaux et les négociations en cours
Le mot de "crise" maque bien des notions qui sont loin d'être toutes rationnelles! Dans « crise », il y a aussi "émotion", voire "crise de nerfs"... Surtout y apparaît une notion de soudaineté, de surprise, voire de peur, indépendamment du nombre des personnes atteintes, comme dans le cas du nuage radio-actif de Tchernobyl, ou celui de la grippe aviaire. Une crise sa nitaire est aussi une crise de quantité tant il est vrai qu'elle touche un grand nombre d'individus.
Mais, parfois la notion de crise n'était pas perçue. Elle rampe, d'abord confidentiellement, puis de façon plus ouverte comme ce fut le cas des effets cancérigènes de l'amiante : on sait que plus de 100.000 personnes mourront des suites de leur exposition à l'amiante, mais peu de gens en parlent et les responsables essaient de l'esquiver. Enfin, la crise sanitaire peut tuer et la perspective de notre confrontation à la mort n'est pas la moindre des dimensions terrifiantes. Il me semble donc utile de survoler les principales crises sanitaires qu'a connue la France dans la période récente.
L'amiante
On connait la nocivité résultant de la manipulation de l'amiante depuis le début du siècle dernier (1900), mais il faudra attendre 1997 pour que son usage soit interdit en France. Comment qualifier la gestion la l'amiante ? On pense à une forme de « cécité mentale ». Tout se passe comme si l'État refusait de voir un problème bien réel, d'ailleurs pris en compte chez beaucoup de nos voisins, et parfois depuis bien longtemps!
Quelle autre explication trouver à cette situation, si ce n'est la puissance d'un lobby industriel qui, pendant de longues années, a fourni des pseudos études niant la réalité. Et aussi le facteur temps, très préjudiciable pour les victimes, à savoir les délais parfois très longs entre l'exposition et l'apparition du mal.
Le sang contaminé Wikipédia est très documenté sur le sujet.En résumé disons que le virus du SIDA a été identifié en 1983. Bonne et rapide réaction, une circulaire écarte les "sujets à risques" (homosexuels) comme donneurs de sang, dès juin 1983.
En janvier 1984, une publication relie transfusion et contamination. Il apparaissait donc logique, dès ce moment, que soit mis en œuvre un dispositif (chauffage) permettant de détruire le virus dans les poches de sang prélevés, ou de systématiser les tests de dépistages sur le sang. Ces tests n'arrivent que progressivement, ils sont coûteux. Un flou entoure la poursuite du recueil de sang tout au long de cette année. Chaque pays fait un peu comme il peut.
Finalement, Laurent Fabius, premier ministre, impose un dépistage obligatoire chez les donneurs le 1er août 1985. Trop tard, 95% des hémophiles (malades recevant fréquemment des transfusions) sont déjà contaminés. La principale erreur n'est sans doute pas venue d'une décision tardive mais surtout de l'utilisation de stocks de sang antérieurement acquis, provenant parfois de milieux « à risques » ( détenus) et ce jusqu'en octobre 1985. 2.000 hémophiles seront ainsi contaminés par le SIDA, à une époque où les traitements étaient encore très peu efficaces. Un drame.
En terme de gestion, force est de constater que le principe de précaution n'a sans doute pas été pris en compte assez précocement. D'autres pays ont été plus vite à réagir, soit en imposant le chauffage systématique du sang prélevé, soit n'utilisant pas des stocks suspects.
Le rôle joué par plusieurs spécialistes est indéniable. Mal conseillés et face à des avis divergents (et sans doute pas toujours dénués d'intérêts), les autorités ont agi avec retard. Il n'y a pas eu « cécité » mais plutôt mauvaise appréciation de l'importance du risque et une réaction un peu tardive. La crise laissera des traces dans l'opinion et un sentiment d'injustice pour les hémophiles.
Le nuage de Tchernobyl Le 29 avril 1986, la centrale ukrainienne explose et un nuage radio-actif se propage vers l'ouest de l'Europe. Dans ce cas, l'État va se comporter comme quelqu'un qui panique et nie la réalité en déclarant que "le nuage n'avait pas franchi les Alpes et ne nous était donc pas parvenu! ". Tout s'est passé comme si, pris de court, ne possédant aucune solution, craignant peut-être une panique générale, il avait été décrété, au plus haut niveau, de nous mentir, sciemment.
Les conséquences sont difficile à évaluer et cette crise sanitaire fait apparaître un État déboussolé, totalement désarmé et qui sans vergogne le déni et le mensonge.
La vache folle et l'hormone de croissance
Entre 1986 et 2000 cet agent infectieux touche les milliers de bêtes, surtout en Grande-Bretagne. Il est décidé d'en abattre par milliers. On dénombrera 214 cas humains (maladie de Creutzfeldt-Jacob) dont 23 en France. Toute une série de mesures seront prises, notamment au niveau de l'alimentation du bétail et aux conditions de leur équarrissage. Dans l'ensemble, il semble bien que la gestion se soit déroulée dans des conditions satisfaisantes, en France comme ailleurs. Le scandale a surtout porté sur les conditions d'élevage.
C'est à cette occasion (en 2001) que l'Europe s'est dotée d'un principe de précaution, destiné à la protéger des risques sanitaires.
Quant à l'hormone de croissance, ce scandale concerne l'utilisation d'extraits de tissus nerveux prélevés dans des conditions peu rigoureuses pour en tirer une hormone destinée à soigner certaines formes de nanisme. À première vue, il semble que l'État n'a pas été directement concerné, les principales responsabilités se situant au niveau des responsables des prélèvements et des médecins prescripteurs.
La canicule de 2003
Durant l'été 2003, l'Europe doit faire face à une canicule. Elle entrainera une surmortalité évaluée à 15.000 décès en France. Le nombre de décès enregistré chez nos voisins sera assez différent: entre 6.000 et 20.000 en Italie, environ 3.000 au Royaume-Uni, 141 en Espagne, 7.000 en Allemagne. On se souvient que c'est un urgentiste qui le premier alertera les médias. Le ministre de la santé gaffera en se présentant en polo sur son lieu de vacances et en banalisant la crise.
L'État, encore une fois surpris, réagira en proposant des mesures simples de prévention. Mais, avec retard.
La grippe aviaire
En 2004, un nouveau virus menace d'entrainer une pandémie grave. En même temps que des mesures de surveillance des oiseaux migrateurs sont réalisées, l'État songe à mettre en place un dispositif permettant de faire face à une éventuelle épidémie, c'est l'EPRUS, Etablissement de Préparation et de Réponse aux Urgences Sanitaires. Des stocks très importants de Tamiflu et de masques sont constitués.
Tout un dispositif d'allure militaire est mis sur fiches. Il comprend notamment le recrutement de médecins volontaires, des séances de vaccination regroupées, etc... Le dispositif EPRUS n'a pas alors besoin d'être activé car la grippe aviaire ne touchera pas le pays...mais il sera repris tel quel quand arrivera la grippe A H1N1.
Le principe de précaution Initialement, c'est par rapport à l'environnement que le principe dit « de précaution » a été mis en place. Il s'agissait de sensibiliser les États pour que des précautions soient prises sans attendre la survenue de problèmes graves. C'est au nom de ce principe de précaution que les arracheurs de plans de maïs OGM agissent: « En absence de certitude quand à l'innocuité des produits OGM, il est normal, c'est même un droit, de se protéger, donc d'arracher ». En 2005, ce principe de précaution est inscrit dans la Constitution française.
Aujourd'hui, une grande confusion règne. On confond précaution et prévention. On confond risque avéré et risque supposé.Les mentalités, elles aussi, ont évolué exigeant une extension du périmètre d'intervention du principe : plus personne n'accepte de ne pas être protégé contre le moindre risque. Pour un rien, l'État est attaqué, suspecté de ne pas en faire assez.
La grippe A (H1N1)
Quand au printemps 2009, surgit cette nouvelle menace de pandémie, c'est une nouvelle « crise sanitaire » qui éclate. L'État, fort des expériences antérieures quelque peu désastreuses (sang contaminé, canicule, nuage de Tchernobyl, vache folle) et fort de cet outil constitutionnel qu'est le principe de précaution, prend la décision de vacciner l'ensemble de la population et réactive le dispositif EPRUS.
Las, cette grippe A se révélera être une fausse alerte et la gestion de la crise fera l'objet de beaucoup de critiques. Il faut dire que le dispositif EPRUS, largement bureaucratique, a engagé la responsabilité de l'ensemble du personnel politique. Reste plusieurs erreurs difficilement compréhensibles: pourquoi ce manque de souplesse qui n'a pas permis d'adapter le dispositif au fur et à mesure de l'évolution de la menace? Pourquoi avoir tant tardé à mobiliser les médecins de ville? Pourquoi s'être entêté à affirmer la gravité du phénomène jusqu'à la date de l'annonce de la fin de l'épidémie, le 14 janvier 2010?
Du coup, il ne faudra pas s'étonner à l'avenir que l'État soit l'objet de méfiance tant en ce qui concerne l'évaluation de la menace sanitaire que la collusion avec les laboratoires. Quant au principe de précaution, il risque de provoquer des ravages car il pousse à la dramatisation et rigidifie les interventions publiques.