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Mon blog professionnel, à l'attention des dirigeants d'entreprises, fait un point régulier sur les questions de management, gestion des crises. Il suit de près l'actualité sociale, les risques psychosociaux et les négociations en cours

Giordano Bruno, ou les lumières de la Renaissance

BrunoGiordano Bruno (1548-1600), par sa formation théologique, philosophique et cabaliste est un des grands modèles del’humaniste de la Renaissance. Simultanément, il est encore représentatif de la scholastique médiévale par son approche classificatoire des thèmes qu’il aborde. Ainsi, lorsqu’il fut condamné à périr sur le bûcher pour avoir refusé d’entériner le dogme établi, il déclara « 1. Qu’il n’avait pas le désir de se repentir. 2. Qu’il n’y avait pas lieu de se repentir. 3. Qu’il n’y avait pas matière à se repentir ». En conséquence, on décida de brûler « 1. Les livres. 2. Leur auteur. 3. Des branches de chêne-liège ».

 

Dans son traité intitulé Des liens, inachevé et demeuré inédit jusqu’à la fin du XIXème siècle, il aborde avec une extraordinaire ouverture d’esprit la question de la relation, peu souvent traitée en termes philosophiques à son époque. Et, il le réalise en accumulant d’extraordinaires fulgurances que ne renierait pas un spécialiste contemporain des sciences humaines. Ainsi, ses premières phrases, fort systémiques : « Il est nécessaire que celui qui doit former un lien possède en quelque façon une compréhension d’ensemble de l’univers, s’il veut être capable de lier un homme – lequel est comme l’épilogue de toute la création. En effet, (…) c’est dans l’espèce humaine qu’il est donné d’observer le mieux toutes les espèces, par des rapports de correspondance »…

 

Les sciences humaines en germe

Sur une théorie de la complexité bien avant son heure, voilà qu’il remarque un peu plus loin « rien n’existe qui ne soit un et simple, de même quantité et de même qualité… »

 

Néanmoins, son projet demeure assez proche de celui de Machiavel : conseiller, non pas tant le Prince que celui que l’on ne nommait pas encore l’acteur social et qui pourrait bien ici prendre les traits d’un urbaniste : «  Le lieur s’apprête en vue de la ligature (…) par trois moyens : l’ordre, la mesure et l’aspect. L’ordre donne les intervalles entre les parties, la mesure définit la quantité, l’esprit se manifeste dans les figures, les linéaments, les couleurs ».

 

Il n’est pas jusqu’à la théorie de l’image que Giordano Bruno n’esquisse avec une remarquable intuition : « l’imagination et l’opinion, écrit-il, lient aussi plus les gens que ne le font la raison, et bien plus étroitement qu’elle ». Et d’insister : « il n’est pas vrai que la force du lien, comme on l’a prétendu, procède du bien – c’est plutôt l’opinion du bien qui a pouvoir de lier… » Étonnant, n’est-ce pas ?

 

Pour peu que l’on consente à l’effort de franchir quelques siècles (un peu plus de quatre, tout de même), on mesure combien il est important de demeurer attentifs aux intuitions en contradiction radicale avec la doxa du moment à laquelle nous relient tant d’habitudes de pensée.

 

L’intuition de la vie

D’ailleurs, fin psychologue, Bruno poursuit : « l’orateur capte la bienveillance par son art en faisant aussi que ses auditeurs et le juge trouvent en lui quelque chose d’eux-mêmes ». Quant à la durabilité des liens, il témoigne, dans un autre registre et avec toute l’expérience des divorcés contemporains qu’il « est naturel (…) de désirer être délié de ses liens, tout comme l’instant auparavant nous avons pu être assujettis par un inclination propre et spontanée ».

 

Néanmoins, au-delà de tout cynisme, il faut bien un part de vérité dans toute relation. Ce que Giordano Bruno traduit comme suit : « Il n’est pas possible de lier à soi quelqu’un à qui le lieur ne soit  aussi une attaché lui-même ; les liens adhèrent en effet à ce qui est lié, s’y insinuent ». D’ailleurs, « tous les liens sont liés au lien d’amour » et « c’est surtout en une disposition réciproque du ravisseur et du ravi que consiste la raison du lien… » Constructiviste déjà, notre Bruno !

 

Véritablement, pour sa connaissance intime de l’humain, il y a beaucoup à glaner dans cet ouvrage, malgré les siècles qui nous séparent de son élaboration… Une distance qui introduit une dimension de vertige dans la lecture que l’auteur adoucit d’une moquerie finale : « les philosophes, qui se font gloire (…) de la connaissance de toute chose, s’accommodent fort bien de ne pas être loués pour la vigueur de leurs pectoraux ».

 

 

Référence : Giordano Bruno, Des liens, traduction Danielle Sonnier et Boris Donné, Paris, Éd. Allia, 2010

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