Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Mon blog professionnel, à l'attention des dirigeants d'entreprises, fait un point régulier sur les questions de management, gestion des crises. Il suit de près l'actualité sociale, les risques psychosociaux et les négociations en cours

Horsegate : la crise comme système

findus 1La crise dite du « Horsegate » a dominé tout le premier trimestre de 2013. Après de multiples crises sanitaires, dont la fameuse affaire de la « vache folle », elle nous offre l’occasion de penser différemment les situations critiques en intégrant les approches systémiques d’organisations qui cessent de fonctionner sur le mode de la linéarité productive déployées à force d’énergie en vue de maîtriser ses process. Comment comprendre une réalité qui passe d’un stade solide à un stade gazeux ?

 

Une découverte surprenante

Entamée mi-janvier outre-Manche, à la façon d’une fable de mauvais goût, l'histoire de la découverte de viande de cheval dans des hamburgers puis dans des plats cuisinés censés contenir du bœuf, a viré au début du mois de février au scandale international, touchant plus d'une dizaine de pays d'Europe. Ses ingrédients de base ? Quelques 750 tonnes de viande chevaline d'origine roumaine, revendues sous la mention « bœuf » par une poignée d'intermédiaires, évidemment alimentés par l’appât du gain. Une vaste escroquerie en somme, chaque jour un peu plus dénouée par les enquêteurs lancés sur la piste de ce cheval emballé qui, en France, mène tout droit chez Spanghero, une entreprise bien connue du sud-ouest soupçonnée de « tromperie économique ».


Cliquez ici pour lire

la chronologie de la crise

du « Horsegate »  

 

La crise démarre brutalement le 16 janvier 2013. Selon The Guardian, des tests effectués par l’Autorité de la sécurité alimentaire irlandaise mettent en évidence de l’ADN de cheval dans 9 steaks hachés surgelés sur 10 vendus par les enseignes Aldi, Lidl, Tesco et Iceland. Par ailleurs, 10 hamburgers sur 27 analysés contiendraient des traces ADN de viande de cheval. Le «Horsegate» commence ainsi en Grande-Bretagne où il demeure cantonné jusqu’au 7 février.

 

C’est, en effet, le 8 que les autorités françaises confirment que la viande de cheval a été importée de Roumanie par un trader chypriote. Ce dernier a revendu la viande à un trader néerlandais, fournisseur des établissements Spanghero (filiale de la coopérative basque Lur Berri) qui ont acheté la marchandise à 2,60 euros le kilo, soit la moitié du prix de la viande de bœuf. La société de Castelnaudary affirme avoir réalisé des contrôles bactériologiques, qui se sont « révélés conformes à la réglementation sanitaire ». Elle n’a pas opéré de contrôle ADN, seule manière de connaître la nature de la viande, car la réglementation européenne ne l’y oblige pas. Elle a alors revendue cette matière première comme « bœuf européen » au groupe Comigel, fabricant de plats préparés pour Findus.

 

Premier enseignement, important à nos yeux : la crise ne vient pas par là où on l’attend. On se prépare à sa survenue au centre du dispositif, là où l’entreprise est la plus largement engagée. Or, très souvent, elle nait à la toute périphérie du système, là où personne ne l’attend. Ici, au sein d’une activité marginale représentant moins de 2% du chiffre d’affaires d’une entreprise somme toute périphérique.

 

Le déni et le bouc émissaire

Nous nous trouvons donc ici en présence d’un scénario assez classique, comportant une première phase durant laquelle les principaux « responsables » font le gros dos en refusant de voir la réalité en face, tandis que ceux qui, en bout de chaîne, sont directement confrontés à la clientèle (les Findus, Lidl, Leclerc, Carrefour…) jouent la carte de la prudence en retirant de leurs rayons les lasagnes industriels mais aussi la moussaka, le hachis parmentier, les spaghettis à la bolognaise et l’ensemble des plats cuisinés censés contenir du « bœuf ».

 

shutterstock 26823796 copieSoit un déni absolu de réalité de la part des entreprises à la source du problème, lesquelles font courir le bruit que l’origine de la tromperie se trouve en Roumanie car, depuis 2011, le gouvernement a interdit la circulation de carrioles tirées par des chevaux, provoquant un accroissement de l’offre de viande chevaline.

 

Évidemment, la Roumanie est bien choisie : aux franges de l’Europe, dans l’ancien glacis soviétique et surtout composée de populations qui viennent grossir les pickpockets du métro. On sent monter un relent de xénophobie que les gouvernements roumain et français éteignent vite.

 

Passée cette tentative de détourner l’attention, les professionnels en viennent à espérer, vers le 11 février, que l’annonce de la démission du Pape Benoit XVI fera passer le scandale au second plan. Hélas pour eux, la conjugaison du numérique (Internet, Tweet…) et la dimension désormais essentiel de l’information touchant à la santé dans les pays développés maintiennent au premier plan la problématique de l’escroquerie à la viande de bœuf.

 

On peut inférer de ce constat qu’espérer détourner l’attention dans le monde ouvert qui nous environne est une tentative vaine qui nous interdit d’agir avec pertinence.

 

Le buzz et le système

D’ailleurs, durant cette première phase, les responsables (hormis les distributeurs, plus proches de la sensibilité des consommateurs) n’agissent pas selon une stratégie claire et crédible. Ils se bornent à réagir aux informations que d’autres (les services sanitaires et d’enquête) sortent à mesure de leurs découvertes.

 

C’est donc le buzz qui conduit le bal. Les « décideurs » se trouvent plongés dans ce qu’ils détestent le plus : une situation qu’ils ne maîtrisent pas. Car, tout dans leur culture comme dans les dispositifs managériaux qu’ils ont mis en place (démarche projet, lean management, qualité dite « totale »…) est conçu pour assurer la maîtrise des événements et ramener les débordements dans le lit du fleuve qu’ils connaissent, dans sa linéarité causale, avec son amont, son aval et, entre temps, des barrages de contrôle. Ce qu’ils ne voient pas ou, en tout cas qu’ils ne parviennent pas maîtriser, c’est bien la dimension systémique de ce qui est en train de se produire dans un contexte d’accélération extrême du temps.

 

Regarder le ciel

3.01.09 003Car ils ne savent pas, eux qui restent le nez plongé dans les statistiques de leurs « reportings », c’est qu’il faudrait observer le ciel pour comprendre une crise. Car, l’organisation qu’ils imaginent piloter ne se comporte pas selon les formes rectilignes et verticales de leurs organigrammes. Elle vit dans un contexte qu’elle ne maîtrise pas. Elle vit comme vivent les nuages déplacés par les vents, se déformant au gré de leurs poussées pour rester les mêmes tout en se modifiant. Que le vent soit stable ou qu’il tourne, ils se coulent dans son modelage, prêts à accueil les souffles du Noroît comme de l’Est ou du Sud.

 

Aussi, pour comprendre la crise et la façon dont l’entreprise se comporte dans ces moments qui représentent autant d’opportunités (comme le suggère l’étymologie grecque) faut-il adopter une approche systémique impliquant les acteurs internes comme les acteurs externes. Et ceux-ci deviennent plus nombreux à mesure que les chaînes de production et de distribution se complexifient et que les consommateurs eux-mêmes disposent de puissants forums dès qu’un sujet les concerne et que, du fait même de l’irruption du regard médiatique, l’entreprise devient totalement poreuse.

 

Dit autrement, la crise transforme l’entreprise conçue comme un système fermé sur lui-même, avec ses contrôles et ses rétroactions connues et maîtrisées, en un système brutalement ouvert.

 

Le débordement des frontières et des alliances

Car la crise est comme les contrebandiers d’autrefois : elle joue à saute-frontière. Là où les partenaires étaient connus et leurs interactions maîtrisées, de nouveaux acteurs interviennent, saturant la scène et perturbant le jeu et les alliances jusque là bien établies.

 

Ainsi du ministre de l’Agriculture, traditionnellement allié des professionnels, qui dès le 10 février commence à lâcher Spanghero sous la pression de son collègue de la Consommation, évidemment sensible aux craintes des consommateurs et avant que les premiers éléments d’enquête viennent désigner l’entreprise comme responsable de la tromperie et suspendre son agrément sanitaire à partir du 14 février.

 

Dès ce moment, la gestion de l’entreprise la déborde et devient tripartite puisque les syndicats discutent autant avec les ministres qu’avec la Direction pour préparer le rétablissement partiel de l’agrément, le 18 février, afin de tenter de préserver les trois centaines d’emplois concernées.

 

Ici se noue une première dynamique, celle de l’explosion des interactions entre acteurs, à mesure que ceux-ci s’invitent ou se trouvent attirés dans le système.

 

La perte de contrôle

Très vite, les frontières du problème se déplacent, tandis que la crise s’étend à une multitude de pays européens en faisant apparaître les dimensions rhizomatiques des échanges économiques contemporains sur lesquels personne ne dispose d’une vision complète. Car, à la différence des systèmes productifs et organisationnels des entreprises, le système-crise n’est pas supervisé. Il ne dispose pas de ce point de vue panoptique que décrivait Michel Foucault dans Surveiller et punir (1975), qui permet l’exercice du pouvoir.

 

Alors, chacun se prend à jouer pour lui-même en tentant de sauvegarder ses intérêts. Les distributeurs agissent en ordre dispersé mais dans le même sens. Ils prennent la fuite. Et cette fuite, du seul fait qu’un premier intervenant (Findus) en a pris le chemin, suscite tout un mouvement grégaire, tout à fait comparable aux flux de paniques dans certains mouvements de foules : puisque la majorité a choisi cette voie, c’est qu’il faut la suivre au risque de précipiter le marché tout entier dans une profonde panique, d’accélérer encore sa temporalité et de repousser encore plus loin les frontières de cet « accident industriel ».

 

À ce stade, les parties concernées sont plongées dans une complexité difficilement connaissable et maîtrisable. L’ensemble, qui jusque-là trouvait son homéostasie à travers un ensemble de dispositifs constitués au fil du temps, ne parvient plus à se réguler et bascule dans l’inconnu. La crise se globalise et le problème entre dans un « état gazeux » qui le rend insaisissable.

 

Car, au seul niveau français, les ventes de surgelés à base de viande de bœuf chutent de 47% entre le 18 et le 24 février, infligeant aux fabricants et aux distributeurs une perte sèche de 3,3 millions d’euros. Sans compte les 400 000 euros perdus sur les raviolis et, surtout, l’entreprise phare de Castelnaudary qui passe de 360 salariés à 240 et qui, ne pouvant plus offrir de travail à plus d’une soixantaine de salariés, est contrainte de demander son placement en liquidation judiciaire. Partie de Grande-Bretagne, la crise revient dans une petite ville du Sud-Ouest en forme de catastrophe tandis que, de leur côté, les boucheries chevalines voient leurs ventes augmenter de 15% sous l’effet de cette publicité indirecte bien involontaire.

Constats


Retour à l'accueil
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article