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Mon blog professionnel, à l'attention des dirigeants d'entreprises, fait un point régulier sur les questions de management, gestion des crises. Il suit de près l'actualité sociale, les risques psychosociaux et les négociations en cours

L’époque est à la désespérance

nike black bloc« Où est passé l’avenir ? », demandait en 2011 Marc Augé dans un ouvrage aigu et pertinent dont j'ai rendu compte ici. De jour en jour, ses inquiétudes se confirment et les résultats des dernières élections européennes signalent encore une fois, chez nous comme dans de nombreux pays européens, la longue traînée d’une poudre noire. Un exemple parmi d’autres, mais significatif, le sondage réalisé par l’IFOP le 25 mai (publié le 28 mai dans l’Humanité). Il révèle l’extension rapide du vote Front National au sein des syndicats : l’extrême droite aurait recueilli 33% des votes des salariés proches de FO, 29% parmi les sympathisants CFTC, CFE-CGC et UNSA, 22% dans l’orbite de la CGT et 17% parmi les salariés sensibles à la CFDT. Significatif aussi le score de 27% qu’il atteint chez les sympathisants de Solidaires, traditionnellement catalogués proches du Front de gauche et de l’extrême gauche.

 

Ainsi, même parmi les salariés encadrés par des organisations professionnelles porteuses d’une vision de la société et du travail, les solutions désespérées s’imposent. Quant à ceux qui ne se reconnaissent dans aucune organisation professionnelle, ils sont 34% à avoir opté pour le vote frontiste.

 

Point n’est besoin d’être grand clerc pour relier ces choix à l’extension rapide du sentiment de désespérance dans notre société.

 

De la défiance à la désespérance

La désespérance renvoie à un accablement. Plus profonde que le désespoir, traduisant le découragement individuel, elle se présente comme l’antonyme de l’espérance, cette vertu théologale chrétienne garante du salut et de la béatitude grâce à une confiance –la foi- absolue dans l’avenir éternel.

 

Croire, consentir un crédit d’avenir à la société à laquelle nous participons et à ceux qui la dirigent, voilà ce qui manque le plus au bout d’un long parcours durant lequel s’est installée puis solidifiée une défiance généralisée.

 

Dé-fiance, perte de foi. Voilà la situation dans laquelle s’est installée une bonne partie du continent, jusque dans le Nord de l’Europe, traditionnellement ancré dans un solide pragmatisme.

 

Égarements

Il faut prendre la mesure de l’engrenage qui nous a conduit à cette situation. J’entends la dynamique anthropologique qui s’est enclenchée et non les enchaînements superficiels de l’histoire électorale récente. Deux causes principales me semblent interagir ici.

 

D’abord, un sentiment de rejet sociétal, venu du fait que, dans l’univers mondialisé, c’est le global qui occupe le centre tandis que le local est rejeté à la périphérie, comme le signalait Paul Virilio. Concrètement, est ici au travail le fait que les centres de décision qui nous impactent directement se sont dramatiquement éloignés : c’est de la distance mentale existante entre Bruxelles et nos villages comme entre les salariés de la SEITA, vieille entreprise issue du monopole français des tabacs, et le siège à Bristol du propriétaire actuel, le bien nommé Imperial Tobacco.

 

On sait pourtant, depuis Tocqueville, que la force et la légitimité des dynasties sociales et industrielles, s’enracinent dans la participation de ces puissantes familles à la vie locale de leur cité, fondement d’une démocratie vivante.

 

Dans notre égarement collectif, nous avons perdu le sens du temps, en nous enlisant dans le présent absolu. Or, comment se projeter dans la durée sans conscience du temps, ce lien structurant établi entre le passé, le présent et l’avenir.

 

Ici, c’est l’idée de progrès qui se trouve sapée à sa base et nous marchons à pas menus en fixant nos pieds.

 

Ringards, indignés et black bloc

Alors quoi ? Vers quel horizon nous dirigeons-nous ? Je distingue trois voies possibles au carrefour où nous nous trouvons.

 

Nous pourrions, en premier lieu, nous réfugier dans une rétro-vision du monde, régressive et focalisé sur un passé idéalisé. Un choix plus ringard encore que conservateur qui ferait de l’Europe, comme le disait joliment il y a peu Daniel Cohn-Bendit, « le Luxembourg du monde ».

 

Nous pourrions autrement parcourir le chemin des indignés espagnols dont la révolte massive et pacifique a contraint les pouvoirs -publics comme entrepreneuriaux- à imaginer des amortisseurs sociaux aux révisions douloureuses qu’imposait la situation économique du pays. Et aujourd’hui on sent pointer le bout du tunnel. Il faut toutefois à cette orientation historique un pouvoir relativement fort auquel confronter l’indignation pour qu’il en résulte un conflit productif.

 

Faute de parvenir à cristalliser une pareille confrontation, nous pourrions enfin nous laisser gagner par une manière d’idéologie punk, désespérant de l’avenir (No Future), à la fois cynique, autoritaire et engagée dans une subversion sans projet. Un monde où triompheraient black blocs et actions violentes immaîtrisées dans lesquelles la base la plus dure l’emporterait sur la raison (usines brulées, saccages environnementaux…).

 

Suis-je exagérément pessimiste ? Espérons-le mais, en attendant, il serait prudent de revenir aux fondamentaux d’une démocratie humaniste.

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