Mon blog professionnel, à l'attention des dirigeants d'entreprises, fait un point régulier sur les questions de management, gestion des crises. Il suit de près l'actualité sociale, les risques psychosociaux et les négociations en cours
Marie-France Hirigoyen
Le harcèlement moral,
la violence perverse au quotidien
Ed. La découverte et Syros, Paris 1998
Voici donc l’ouvrage fondateur. Celui grâce auquel la question du harcèlement moral a fait irruption dans nos préoccupations au point de susciter une révision du code du travail (le fameux article L. 232-2 sur la responsabilité du chef d’entreprise). C’est à partir de cet ouvrage qu’on a pris conscience qu’un mot pouvait tuer et que les armes de la manipulations, de la malveillance et de la persécution étaient employées dans la vie privée, sociale ou professionnelle.
Marie-France Hirigoyen, médecin et psychiatre formée à la victimologie, décrit par le menu ces relations dans lesquelles « le ou les agresseurs peuvent (…) se grandir en rabaissant les autres, et aussi s’éviter tout conflit intérieur ou tout état d’âme, en faisant porter à l’autre la responsabilité de ce qui ne va pas. (…) Or, ce type d’agression consiste justement à empiéter sur le territoire psychique d’autrui ». De plus, « le contexte socio-cuturel actuel permet à la perversion de se développer parce qu’elle y est tolérée. Notre époque refuse l’établissement de normes ».
Petites perversions quotidiennes
Aussi, son analyse de la perversité traverse les différentes situations susceptibles d’être vécues. Ce qu’elle donne d’abord à comprendre, c’est que la violence perverse constitue pour un individu défensif, destiné à ne pas assumer la responsabilité d’un choix difficile en en faisant porter la responsabilité à l’autre. Une manœuvre perverse vise à le déstabiliser pour le faire douter de tout, à commencer par lui-même. Dans l’entreprise, « c’est de la rencontre de l’envie de pouvoir et de la perversité que naissent les violences et les harcèlements. » Au prix de « petites perversions quotidiennes ».
C’est seulement au début des années quatre-vingt-dix que le phénomène a vraiment été identifié comme destructeur de l’ambiance de travail, diminuant la productivité et favorisant l’absentéisme par les dégâts psychologiques qu’il entraîne. Le harcèlement est d’abord un mécanisme répétitif. La mauvaise humeur ou les conflits peuvent toujours exister. Mais c’est la répétition des vexations, des humiliations qui constituent le dispositif destructeur. Et si personne n’intervient fermement, le registre habituel de l’entreprise s’accuse : une entreprise rigide devient plus rigide encore. Un employé dépressif, plus dépressif encore. Un agressif se fait plus agressif… Se crée alors un phénomène circulaire dont on perd la trace de l’origine et le conflit dégénère si l’entreprise refuse de s’en mêler. Ainsi, un pervers agit-il d’autant mieux que l’entreprise est désorganisée ou mal structurée.
Victimes non consentantes
N’imaginons pas que ceux qui sont visés par le harcèlement seraient d’éternels et naturels souffre-douleur. Au contraire, il se met en place lorsque la victime réagit à l’autoritarisme d’un chef. On trouve parmi les victimes beaucoup de personnes scrupuleuses qui se culpabilisent sous les reproches et surinvestissent dans un « présentéisme pathologique ». « Cette dépendance, ajoute Marie-France Hirigoyen, n’est pas uniquement liée à une disposition caractérielle de la victime ; elle est surtout la conséquence de l’emprise exercée par l’entreprise sur ses salariés ». Et, constate-t-elle un peu plus loin, « un grand nombre de responsables hiérarchiques ne sont pas des managers ».
Mais quels sont les moyens d’action des harceleurs ? D’abord, le refus de la communication directe. Puis, la disqualification de la victime, son isolement, des brimades, les tentatives de pousser l’autre à la faute. Toujours, le harcèlement prend racine dans une pratique de l’abus de pouvoir. Il est aussi facilité par les nouvelles formes de travail qui visent à accroître la performance en laissant de côté les éléments humains, au prix d’un stress accru. Et puis, il est vrai que le monde du travail « est extrêmement manipulateur », fait à la fois de séduction narcissique et de domination.
Dans une situation de harcèlement, il est fréquent qu’à la souffrance de la victime s’ajoute celle du harceleur, qui n’en est pas excusable pour autant. Il est alors temps d’agir pour revenir à des relations vivables.