Mon blog professionnel, à l'attention des dirigeants d'entreprises, fait un point régulier sur les questions de management, gestion des crises. Il suit de près l'actualité sociale, les risques psychosociaux et les négociations en cours
VARELA Francisco, THOMPSON Evan, ROSCH Eleanor,
L’inscription corporelle de l’esprit, Sciences cognitives et expérience humaine,
Ed. du Seuil, Paris 1993,
Trad. de l’anglais par Véronique Havelange, 382 p.
Varela se place dans la tradition phénoménologique de Merleau-Ponty et de ses héritiers sur la scène contemporaine : Derrida, Bourdieu. Il intrique cette généalogie intellectuelle avec la tradition bouddhique pour interroger les sciences cognitives contemporaines. Dans ce but, il développe le concept d’enaction pour développer une conception de la cognition comme action incarnée, mettant ainsi en relief la corporéité de la conscience.
La cognition, un processus phénoménologique
Nous n’avons pas conçu notre monde. Nous nous trouvons simplement en lui », constate-t-il. Et la cognition s’élabore sous la forme d’une représentation mentale permettant la manipulation de symboles. Cependant, les sciences cognitives, issues de la cybernétique, tendent à représenter cette manipulation sur le modèle d’une computation. Or, pour Varela, la cognition se présente plutôt comme un dispositif distribué, un ensemble auto-interprétant qui s’auto-organise. Il s’appuie pour soutenir sur les connaissances récentes relatives au fonctionnement du cerveau. Il affirme que le soi n’est pas transcendantal (cf. Kant), non plus qu’une « chose pensante » (Descartes) mais un processus qui relie la personne au monde à travers l’expérience qu’elle en fait (cf. phénoménologie de Merleau-Ponty). Le soi n’est donc pas un invariant, mais une construction connectée au monde.
Dans cette perspective, Varela propose de concevoir la cognition comme une voie moyenne (notion d’inspiration bouddhiste) qui remet en question l’idée qu’il puisse exister un modèle homogène de l’esprit mais qu’au contraire se conjuguent à la fois un fonctionnement largement distribué et une « isolation » des mécanismes qui maintiennent séparés les divers processus. Ainsi, chaque maillon d’une chaîne conditionne les autres en même temps qu’il est conditionné par eux.
Un des intérêts de se référer à la voie bouddhique consiste à « dépasser l’attachement émotionnel au moi ». Inutile de supposer un monde pré-donné (« « réel ») et un soi centralisé, car, fait observer l’auteur, nous ne pouvons pas nous tenir à l’extérieur de nous-mêmes pour évaluer le degré de correspondance que nos représentations pourraient avoir avec le monde.
Toutefois, le monde n’est ni un objet, ni un événement. « Le monde se présente plutôt comme un arrière plan – un cadre, un champ qui englobe notre expérience, mais qui ne se laisse pas saisir en dehors de notre structure, de notre comportement et de notre cognition. De ce fait, ce que nous disons sur le monde en dit au moins autant sur nous-mêmes que sur le monde ».
Évidemment, ceci ne va pas sans un sentiment d’angoisse qui provient du besoin de fondements sûrs. Tel est d’ailleurs l’objet constant de la philosophie occidentale, par opposition à la « voie moyenne » de la tradition bouddhique. « L’absence de fondement est la condition même du monde richement tissé et de l’interdépendance bigarrée de l’expérience humaine », soutient Varela.
Un monde co-élaboré
Reste, et c’est la thèse centrale, que notre cognition est incarnée, ou enactée, pour reprendre son terme. Car, « il faut inévitablement conclure que le connaissant et le connu, l’esprit et le monde se situent en relation l’un avec l’autre par le biais d’une spécification mutuelle ou d’une co-origination dépendante », explique Varela. Le monde et le sujet percevant se déterminent l’un l’autre, comme la poule et l’œuf.
Pour l’auteur, il s’agit là de contourner le dualisme du rationnel et du subjectif, de l’intérieur et de l’extérieur en regardant la cognition comme un processus co-élaboratif et incarné. « La perception, précise-t-il, n’est donc pas seulement enchâssée dans le monde qui l’entoure ni simplement contrainte par lui ; elle contribue aussi à l’enaction de ce monde environnant ».
De même en matière d’évolution, les successeurs actuels de Darwin considèrent aujourd’hui qu’elle est moins le fruit de la « sélection naturelle » que la résultante d’un champ de forces. Pour Varela, l’évolution est le résultat d’une « dérive naturelle ». Elle représente, en matière d’évolution, la contrepartie biologique de l’enaction. Elle conduit d’abord à « passer d’une logique prescriptive à une logique proscriptive, c’es-à-dire de l’idée que tout ce qui n’est pas permis est interdit à l’idée que tout ce qui n’est pas interdit est permis ». Ensuite elle permet de regarder le processus évolutif en terme de satisficing, c’est-à-dire à l’adoption de solutions sous-optimales mais acceptables, plutôt que d’optimisation. Voilà un regard neuf sur la question de l’évolution.
Une systémique enrichie
D’une façon générale, l’environnement ne peut pas être séparé de ce que sont et de ce que font les organismes qui le compose. On trouve donc ici une conception systémique très extensive qui s’intègre parfaitement et nourrit la pratique du coach. Cette approche débouche « sur une conception qui voit les capacités cognitives comme inextricablement liées à des histoires vécues, un peu à la manière des sentiers qui n’existent que dans la mesure où on les trace en marchant ». « D’une manière générale, l’approche par l’enaction se distingue par le fait de substituer à un programme orienté vers la résolution d’une tâche explicite un processus qui s’apparente à une évolution par dérive naturelle ».