Mon blog professionnel, à l'attention des dirigeants d'entreprises, fait un point régulier sur les questions de management, gestion des crises. Il suit de près l'actualité sociale, les risques psychosociaux et les négociations en cours
Et si le sentiment de sécurité ou d’insécurité personnelle était devenu le facteur principal de la socialisation de nos contemporains ?
Tanguy s’éloigne
Observez autour de vous ces jeunes qui prolongent d’une bonne décennie leur insertion dans une vie stable. À 30 ou 35 ans et après souvent de bonnes études, ils demeurent sans lien durable, affectif ou professionnel. Ils ne restent plus, comme le Tanguy d’Étienne Chatiliez (2001), dans le cocon familial, sauf difficulté financière grave. Ils vont et viennent à travers des expériences de court terme et des emplois provisoires, là où les attirent les opportunités. Parfois un peu n’importe où autour de la planète.
Parallèlement, certains de leurs camarades – apparemment moins nombreux – constituent un couple, s’installent et font des enfants. Ceux-là sont progressivement enracinés. Dans une vie professionnelle puis sociale.
Ce qui différencie ces deux cohortes ne se cristallise pas autour de leur niveau socio-professionnel, car le phénomène touche toutes les catégories sociales. La distinction s’établit sur la base d’un critère dominant, celui de la sécurité. Une sécurité vécue et perçue, indépendamment de son « niveau économique » : le seul fait de détenir un revenu stable et un horizon assuré détermine la donne. Que ce revenu soit un confortable CDI, un traitement de fonctionnaire ou, même, un RSA. Alors on s’installe et on se projette dans l’avenir, même au prix de la révision de ses ambitions.
Quant aux moins jeunes, on sait les ravages produits dans les familles et chez les personnes concernées par la destruction du sentiment de sécurité lorsque, par exemple, disparaît l’employeur principal du bassin de vie.
Le paradoxe de Saint-Pétersbourg
En économie financière, on parle souvent d’aversion au risque, une approche issue du célèbre « paradoxe de Saint-Pétersbourg », énoncé en 1713 par Nicolas Bernoulli. Il se résume par la question suivante : pourquoi, alors que mathématiquement l’espérance de gain est infinie à un jeu, les joueurs refusent-ils de jouer tout leur argent ?
Évidemment, la réponse à une pareille question ne peut être que psychologique et résider dans la capacité d’une personne à prendre plus ou moins de risques sans jamais compromettre, sauf pratique addictive, son socle sécuritaire. Il paraît évident que ce socle varie d’un individu à l’autre mais qu’il se trouve aussi largement conditionné par le « climat des affaires » (pensez aux « bulles » et aux paniques boursières).
Il est arrivé que certains s’insurgent contre ce fait et tentent de promouvoir une véritable « éthique du risque » (François Ewald et Denis Kessler, in revue Le Débat, 2002). Ils proposèrent alors de distinguer les « courageux et les frileux » ou, risquophiles et risquophobes. Comme si l’individu ne pouvait pas, légitimement, depuis le giron de sa mère, rechercher une certaine sécurité. Comme si risque, au sens de jouer, pouvait passer du plan d’une pratique (voire d’un vice !) à celui d’une valeur. Et comme si chacun disposait aussi du même capital matériel et culturel à poser sur la table.
En tout cas, il est clair que la société répond aujourd’hui clairement à ce paradoxe et qu’elle exprime l’impérieux besoin d’un socle rassurant avant de pouvoir retrouver le sens du risque heureux et de l’inventivité créative. C’est là une question politique, au sens riche du mot. Elle appelle tous les dirigeants, quelle que soit leur place dans la société, à prendre conscience de la nécessité profonde, non pas de rassurer, mais d’établir un lien sûr et solide qui encorde les uns au autres les membres du collectif dont ils ont la charge.