Mon blog professionnel, à l'attention des dirigeants d'entreprises, fait un point régulier sur les questions de management, gestion des crises. Il suit de près l'actualité sociale, les risques psychosociaux et les négociations en cours
Les risques psychosociaux s’appréhendent sur une approche systémique. Mais, il n’est pas toujours aisé de déterminer si un trouble doit se regarder comme une cause ou bien comme un symptôme du mal-être. Ainsi, le stress peut représenter la conséquence d’une agression physique, ou bien l’une des causes d’un burn-out. Les risques interagissent entre eux dans une dynamique circulaire. Et leurs effets peuvent à la fois concerner la santé mentale et la santé physique des travailleurs : maladies cardio-vasculaires, troubles musculo-squelettiques, anxiété, dépression, conduites à risques…
Quant aux facteurs de risques, ils sont particulièrement nombreux. Le ministère du travail retient, à partir de la littérature actuelle, quatre grandes familles de facteurs de risques : les exigences du travail et son organisation (autonomie, niveau d’exigence en termes de délais et de qualité, injonctions contradictoires…) ; le management et les relations de travail (qualité des relations avec les supérieurs et les collègues, reconnaissance, justice organisationnelle…) ; la prise en compte des valeurs et attentes des salariés (développement des compétences, conflits éthiques, équilibre vie privée et professionnelle…) ; et les changements du travail (insécurité de l’emploi, restructuration, nouvelles technologies…). Mais d’autres classifications existent. Ainsi, le collège d’expertise sur le suivi des RPS retient-il quant à lui 6 dimensions de risque à caractère psychosocial.
Institution et symptôme
Ce qui est certain, c’est que cette problématique traverse toute l’Europe, où 28 % des travailleurs seraient exposés à au moins un facteur susceptible d’affecter de manière défavorable leur bien-être mental. 50 à 60 % des jours de travail perdus y sont dus au stress. Aussi, la lutte contre les RPS est-elle placée parmi les priorités en France, mais également en Belgique, au Danemark et au Royaume-Uni. Rappelons enfin que le stress coûte chaque année a minima 2 à 3 milliards d’euros à la France (évaluation INRS 2007) et 20 milliards à l’Union Européenne des 15.
A défaut d’être définis, les RPS deviennent une des cibles des législations nationales et communautaires. Par exemple, des accords-cadres ont été signés par les partenaires sociaux européens sur le stress, le harcèlement et les violences. Ils ont donné lieu en France à un accord interprofessionnel sur le stress, signé en juillet 2008, et à un autre sur le harcèlement et les violences au travail datant de mars 2010. De plus, en France, la loi de 2002 oblige les employeurs à prendre en charge le risque mental, et les jurisprudences de 2009-2010 vont dans le sens d’une obligation de résultat. L’Etat a également imposé des négociations sur le stress au sein des entreprises de plus de 1 000 salariés.
Au-delà de ces obligations, les pouvoirs publics préconisent que les entreprises fassent appel à des experts pour diagnostiquer les facteurs de risques présents, et mettent en place des plans d’actions. Mais, le plus généralement, ces plans se focalisent sur le mal-être des personnes. Dit autrement, sur la résorption des symptômes.
Qualité empêchée
Mais, pourquoi aborder exclusivement les RPS comme un risque toxicologique mesurable auquel les salariés seraient exposés passivement, et qui pourrait devenir tolérable en-deçà d’un certain seuil ? Car, les enquêtes et les diagnostics se focalisent bien sur les dommages causés, les maladies provoquées, et ils cherchent à soigner les personnes, non le travail lui-même.
Tout cela, parce que le stress est approché comme un trouble de l’adaptation de l’individu : celui-ci ne disposerait pas des ressources nécessaires pour faire face à la demande de son environnement. Mais le trouble de l’adaptation ne se situerait-il pas également, voire principalement, du côté de l’organisation ?
Pour moi, il faut élargir l’approche des RPS. Car, si traiter les symptômes, est une nécessité et une urgence, la vraie question, souvent occultée, porte sur la qualité du travail lui-même. En effet, il apparaît de plus en plus, au fil des entretiens que nous conduisons, que la qualité empêchée qui est extrêmement coûteuse psychiquement est au centre des souffrances. Beaucoup de capacités et d'engagements sont gâchés, les ressources psychologiques et sociales des salariés sont gaspillées, leurs énergies perdues dans des organisations qui les dissipent.
Pathogénèse de la mascarade
Et le collectif, qui constitue un atout majeur pour réaliser un travail bien fait et s’y sentir bien, se confronte aux multiples approches individualisantes qui prévalent aujourd’hui. De sorte que l’organisation découpe une collection d’individus prisonniers de leur isolement et contraints de « faire comme si » pour ne pas être exclu du jeu. Au prix d’une fracture intérieure qui prive l’entreprise des immenses réserves d’engagement gisant dans la motivation empêchée des salariés. Et c’est cette mascarade répétitive - jouée contre son gré et son éthique, et sans reconnaissance en contrepartie - qui est massivement pathogène.