Mon blog professionnel, à l'attention des dirigeants d'entreprises, fait un point régulier sur les questions de management, gestion des crises. Il suit de près l'actualité sociale, les risques psychosociaux et les négociations en cours
À près de cinquante ans, Paul occupait une fonction en vue dans une institution relativement reconnue. Il était satisfait de son travail, surtout lorsque ses compétences diplomatiques se trouvaient sollicitées afin d’apaiser les tensions et mettre tout le monde d’accord pour continuer encore durant un bout de chemin. Une réussite professionnelle certaine pour cet enfant d’une banlieue médiocre parvenu, grâce à ses efforts constants, à s’assurer une position dans le monde.
Lorsqu’il me sollicita, il s’apprêtait à envisager un changement de poste et il voulait remettre à jour CV, lettre de motivation et préparation à un oral de recrutement. Du très concret, imaginait-il.
Ce qui me sauta aux yeux, en lisant son projet de CV, fut l’exagération de détails purement opérationnels et une façon toute rétroactive de se projeter en avant, tant dans sa lettre de motivation que dans son approche de l’entretien de sélection. Avec cette tentation – très fréquente, d’ailleurs – de justifier par un succès passé les exploits à accomplir dans les fonctions plus élevées qu’il briguait.
Une manière mentale de repli fœtal
C’est là une propension largement partagée : face à une situation vécue comme infériorisante et périlleuse, nous nous replions volontiers sur nous-mêmes et sur notre passé – ce qui est, après tout, le plus certain -. En somme, une manière mentale de pratiquer le repli fœtal.
Lors de la préparation de son entretien, Paul reproduisit un tropisme identique : sa présentation collait à son parcours dans un ordre absolument chronologique, au lieu de mettre en exergue les qualités dont il disposait déjà pour affronter les défis du futur.
Corrélativement, cette attitude engendrait chez lui une posture d’infériorité, manifeste dans le façon de regarder le recruteur ou le jury comme autant de juges vis-à-vis desquels il convenait de se justifier, et non comme des collègues en devenir, avec lesquels il s’agissait d’avoir un échange intéressant et positif autour des compétences et qualités nécessaires à l’exercice des fonctions espérées.
Paul avait l’esprit vif et trois séances suffirent à régler ses difficultés. Lors de la première, nous recourûmes à la technique narrative de la conversation pour redevenir auteur de son propre destin. Pour la deuxième, nous déployâmes une démarche de co-construction destinée à améliorer ses documents écrits – CV et lettre de motivation -. Quant à la troisième séance, elle nous permit, à travers un training d’entretien, de restructurer la présentation de son parcours autour de ses qualités les plus pertinentes au regard du poste espéré. Nous préparâmes aussi plusieurs façons de tendre des perches aux recruteurs et l’art de leur répondre.
Il sourit
Nous constatâmes rapidement que sa candidature écrite lui ouvrait aisément la porte de la rencontre physique.
Aujourd’hui, Paul est en train de s’installer dans ses nouvelles fonctions, pour lesquels il s’est bien battu au cours de trois entretiens successifs. Il me dit aussi se sentir plus assuré de lui-même depuis cette expérience qui l’a fortement bousculé, lui qui considérait souffrir d’une assertivité un peu faible. Du coup, il stresse moins quand il doit se confronter à des interlocuteurs qui paraissent pratiquer sans déplaisir le rapport de force. Et Paul, de toute évidence, sourit beaucoup plus souvent que par le passé.