Mon blog professionnel, à l'attention des dirigeants d'entreprises, fait un point régulier sur les questions de management, gestion des crises. Il suit de près l'actualité sociale, les risques psychosociaux et les négociations en cours
Deux cadres de La Poste qui se suicident en l’espace de quelques jours - le 23 février puis le 11 mars derniers - ont provoqué une onde de choc. Les syndicats dénoncent les effets toxiques d’une évolution à marche forcée, la direction promettant “des ajustements”, et les spécialistes des risques psychosociaux rappelant la dangerosité du stress et de la souffrance au travail.
Une réalité que même les plus dubitatifs ont désormais du mal à contester, avec deux explications principales : la mutation culturelle et le changement des modalités d’encadrement. Deux facteurs de risques humains au travail à La Poste depuis qu’elle a amorcé, il y a quelques années, son passage vers le privé.
Choc des cultures
La Poste comme France Telecom, toutes deux issues du service public, s'affrontent à des impératifs de productivité impliquant des changements organisationnels mais aussi l’adoption de nouvelles valeurs. Une véritable mue identitaire pour les salariés, d'autant plus douloureuse qu'elle ne s’accompagne pas d’un véritable soutien hiérarchique.
Mais, la comparaison s’arrête là, car la direction de La Poste ne pratique pas les mêmes méthodes de changement à marche forcée que l’ancienne direction de France Telecom adepte des mobilités forcées tant opérationnelle que géographique. De plus, elle ne se réfugie pas dans le déni.
Restent les faits, et notamment la lettre laissée par l’un des cadres disparus accusant cette même direction d’“acharnement” et la rendant responsable de “sa perte de repères”. Un phénomène courant, lors de réductions massives d’effectifs et d'accroissement des cadences. Ajoutez l’application d’indicateurs de rentabilité, les obligations de reporting et de contrôle des procédures, et vous mesurez combien ces phases d’adaptation peuvent être sources de tensions. Surtout pour ceux dont le rôle d'interface entre le sommet et la base renforce l’exposition au changement.
Entre deux feux
En tête de ces groupes à risque, le middle-management, à la fois exécutant et encadrant. Il se trouve à l’intersection hiérarchique exacte pour mettre en œuvre les nouvelles orientations et en subir les retombées négatives, répercutant auprès du reste des salariés des plans à la conception desquels il n’a pas pris part et dont il est le premier à tester les limites en essuyant les résistances de la base.
Une facette du métier à laquelle s’ajoutent une obligation de reporting désormais démesurée et divers autres tâches autrefois annexes et aujourd’hui prioritaires au point de modifier radicalement le contenu de l'activité des managers de proximité. Jusqu’à les déposséder de ce qui, il y a une dizaine d’années encore, constituait le cœur de leur métier : l’animation d’équipe, la résolution de problèmes, l’encadrement. Un état de plus en plus fréquent chez cette catégorie de cadres et qui expliquerait la plupart des troubles psychosociaux constatés chez cette population de salariés.
Un travail ce n’est pas qu’un salaire. C’est un engagement une implication et souvent de convictions, surtout chez les cadres dont le statut implique un investissement personnel dans le travail. Des qualités qui, dans des périodes de mutation brutales et à 180°, ne font qu’accroître l’exposition au risque car on leur demande soudain d'endosser un rôle de composition, de porter d’autres valeurs et d’autres priorités, d’adopter un autre langage et d’autres méthodes.
Solitudes
L’évolution est flagrante. La protestation et le mal-être qui trouvaient leur expression dans l’arrêt du travail ou la grève sont en recul constant et sont remplacés par la montée des troubles psychosociaux – dépressions, burn-out, tentatives de suicide ou suicides – qui, tous, sont les manifestations aiguës d’une souffrance désormais vécue dans la solitude.
Quant à imaginer une possible embellie, difficile d'y croire tant que les dirigeants n’auront pas pris conscience qu’il est plus rentable pour eux que leurs salariés travaillent sans stress. Il est temps d’appréhender le bien-être au travail non comme une contrainte supplémentaire mais comme un facteur de productivité parmi d’autres.