Mon blog professionnel, à l'attention des dirigeants d'entreprises, fait un point régulier sur les questions de management, gestion des crises. Il suit de près l'actualité sociale, les risques psychosociaux et les négociations en cours
De loin en loin, dans la dynamique des systèmes, vient un temps de suspension entre un avant et un après. On sent alors que le flux des événements pourrait quitter la ligne de plus forte pente qui relie une perception rétroactive à une projection téléologique. C’est un peu « l’instant décisif » que cherchait à capter Henri Cartier-Bresson. Ce moment où, dans la course, les pieds ont quitté le sol ancien et ne sont pas encore posés sur le sol nouveau. Nous sommes alors dans un temps-carrefour susceptible d’ouvrir sur différents possibles qu’il faudrait négocier avec l’intuition du pilote averti.
Or, je m’interroge sur le fait de savoir si nous ne serions pas entrés dans un pareil moment où le premier plan reste saturé du cours ancien mais où il faut savoir repérer quelques signaux faibles annonciateurs de possibles différents. Au niveau national, entre les scandales à répétition, les ras-le-bol sociaux autant que fiscaux et les données macro-économiques en berne, on pourrait penser qu’il n’y aurait rien à espérer et que le mieux serait de mettre à la cape en attendant de meilleurs jours. Toutefois, dans le marasme de la situation de l’emploi, les aiguilles des compteurs semblent doucement se décoincer de la tendance à la plongée. L’économie, sans encore être véritablement repartie, est traversée de quelques frissons d’optimisme chez les chefs d’entreprises tandis que l’activité bancaire démontre qu’elle peut dégager 10 à 15 milliards de ressources pour financer le rachat de SFR. Dans ce moment suspendu, où la reprise n’a même pas encore l’aspect d’une prémisse, il faudrait toute la finesse d’un grand pilote pour sentir le moindre souffle d’air qui nous éloignerait un peu de la pétole, et le percevoir suffisamment tôt pour être déjà entré en dynamique lorsque la reprise commencera à se former.
De pareils moments sont importants car, à la différence des temps d’homéostasie où les vents sont si stables qu’il est seulement possible d’accompagner leur portance, nous abordons peut-être un moment où la manœuvre devient possible. Pas n’importe laquelle. Celle qui capte une ou deux tendances encore à peine sensibles pour s’introduire dans le flux, encore infime mais porteur de promesses.
Si ces temps de suspension se conçoivent dans la gestion de la cité, ils se manifestent également dans la conduite des entreprises (il y a celles qui sont manoeuvrantes et celles que porte la tendance) comme dans le gouvernement de nos vies. Souvent éblouis par l’aspect massif d’une situation, nous négligeons ces vérités indicielles présentes qui pourraient devenir de réelles portances demain. De ce point de vue, sans doute le coach est-il lui aussi un détecteur de tendances dans le genre de ceux qui anticipent la mode d’après-demain.