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Mon blog professionnel, à l'attention des dirigeants d'entreprises, fait un point régulier sur les questions de management, gestion des crises. Il suit de près l'actualité sociale, les risques psychosociaux et les négociations en cours

Poétique de la catastrophe

 

poetiqueComment pouvons-nous voir venir la catastrophe ? Plutôt, comment faisons-nous pour ne pas la sentir approcher et ne pas disposer de cette intuition vive du danger que possèdent les animaux ?

 

Dans un essai publié cette année, Georges Didi-Huberman s’attache à mettre à l’épreuve une hypothèse : « une catastrophe serait non vue, ne se verrait pas venir dans le mesure où elle serait cachée par une autre catastrophe qui lui est contemporaine, une catastrophe plus obvie qui occuperait à un moment donné de l’histoire tout le champ de la vision ». Si elle n’est pas lisible, c’est qu’elle se trouve oblitérée soit par des évidences routinières, soit par une autre situation critique. Car, toujours, la catastrophe s’annonce par le moyen de signaux faibles que nous nous refusons de percevoir. Nous nous leurrons. Ou, pour reprendre une formulation militaire, nous nous trouvons pris dans un dispositif de déception que nous avons nous-même fabriqué.

 

Pier Paolo Pasolini, dans un essai portant sur un de ses premiers films, La Rabbia (1962-1963), met en cause la « normalité » qui engendre notre assoupissement et nous incite à abandonner la plus élémentaire vigilance. Il lui oppose la « rage du poète » (la rabbia del poeta), cet enragé créateur (poïesis = création) affronté tout à la fois au conventionnel et au révolutionnaire, ce dernier se trouvant seulement engagé dans la recherche d’un conformisme d’un autre ordre.

 

Cette rage poétique s’impose comme un état d’urgence constamment menacé d’étouffement par une normalité qui n’est, à la vérité, que l’expression d’un état d’exception muselant déguisé sous l’illusion que tout va pour le mieux, comme l’a montré plus tard Giorgio Agamben. Depuis le soulagement munichois évoqué par Sartre dans Les chemins de la liberté (tome 2, Le sursis) jusqu’à l’impossibilité des trois opérateurs sur le marché du téléphone mobile à anticiper la réalité de l’offre de Free mobile en janvier 2012, l’histoire est pavé de ces aveuglement face à la crise qui s’avance. Quand bien même on devrait la prévoir.

 

« Les cons » aurait maugréé Daladier en atterrissant au Bourget de retour de Munich. Sentir le grisou, pour les ouvriers des mines de charbon, c’était percevoir ce mauvais air que signalaient bien à l’avance des oisillons en cage gonflant leur plumage à l’approche de la catastrophe. Sentir le grisou, pour nos directions d’entreprises les conduirait sans doute à accepter en leur sein une voix poétique accueillant la réalité dans toutes ses dimensions à la fois réalistes et intuitives… Ce qui reste, je dois l’admettre, une vision purement poétique.

 

 

 

DIDI-HUBERMAN Georges, Sentir le grisou, Les éditions de Minuit, Paris, 2014

AGAMBEN Giorgio, État d’exception, Homo sacer II, Les éditions du Seuil, 2003

PASOLINI Pier Paolo, La rabbia, film 35 mm N&B et couleurs, 59 mn, 1962-1963

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