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Mon blog professionnel, à l'attention des dirigeants d'entreprises, fait un point régulier sur les questions de management, gestion des crises. Il suit de près l'actualité sociale, les risques psychosociaux et les négociations en cours

Souffrance éthique : ne pas négliger le conflit de valeurs au travail

NoeudC’est un phénomène largement observé aujourd’hui que celui de la transformation du travail. Nous avons, en effet, largement abandonné le travail contraint, où la norme est posée par des dispositifs autoritaires extérieurs au salariés (chefs, rythme des machines, définition des temps…) et où, pour être échangé contre rémunération, le travail doit être validé par autrui (l’employeur, le client, l’usager). Prévaut aujourd’hui une forme de travail prescrit, qui se réalise à travers des normes intériorisées (objectifs, processus, qualité…) qui appellent d’abord une satisfaction intime à l’égard d’un travail « bien fait », d’un « bon travail », évalué à l’aune de ce que l’on nomme un « jugement de beauté ». Ce type d’exercice professionnel se fonde sur l’investissement personnel du salarié, son engagement[1] et son système de valeurs lequel, s’il entre en contradiction avec les exigences de l’emploi, peut provoquer ce qu’il est légitime de nommer unes « souffrance éthique »[2]. Ainsi, dans certains secteurs comme la santé ou l’action sociale, l’évaluation de la demande psychologique associée à une fonction parvient mal à évaluer ce mal-être ressenti par le travailleur quand ce qu’on lui demande de faire entre en contradiction avec ses normes professionnelles, sociales ou subjectives.

 

Le travail occupant une place centrale dans la construction de la personnalité (il donne un sens à l’existence), il parvient aussi à la détruire quand il se révèle dysfonctionnant. Se sentir écoeuré parce qu’il faut bâcler un projet ou terrassé par la honte après avoir accepté de nuire à autrui, représentent autant de souffrances destructurantes[3]. Dans une usine de biscuits ou la direction a modifié la recette de fabrication pour employer des ingrédients moins chers, ou dans une usine de prothèses mammaires où l’on introduit des produits de mauvaise qualité sont constitutifs d’une qualité empêchée profondément déstabilisante. Un téléopérateur contraint de choisir entre la résolution des vrais problèmes des clients et le respect des objectifs commerciaux, un ingénieur obligé à des distorsions réglementaires ou financières, sont des proies toutes trouvées pour une brutale décompensation.

 

Consciences blessées

Nombreux sont les médecins du travail qui signalent l’émergence de ces blessures de consciences. Confrontés à un difficile arbitrage entre trahir leurs principes et se mettre à l’écart du collectif, les personnes en souffrance peuvent adopter différentes stratégies défensives, telle l’hyperactivité, le cynisme ou bien le retrait mutique qui sont susceptibles, à l’extrême, de déboucher sur des cas de suicide.

 

Des conflits éthiques apparaissent souvent quand une entreprise se trouve forcée d’abandonner son métier et ses valeurs pour se fondre dans des dispositifs qui lui étaient jusque-là étrangers, à l’image de ces salariés d’une société d’assistance informatique rachetée par un éditeur de logiciel et obligés de jeter savoir faire et souci du client pour se faire les VRP de produits bas de gamme. Lorsque nous les avons rencontrés, à la question « que préférez-vous, faire ce qu’on attend de vous ou vous retrouver au chômage ? », ils étaient presque unanimes à choisir la seconde solution.

 

Le viol des consciences devient progressivement plus insupportable à mesure que l’on impose aux salariés de mobiliser leur intelligence, leur volonté et leur savoir-faire en laissant de côté leur sens critique.



[1] CLOT Yves, Le travail à cœur, La Découverte, Paris, 2010.

[2] LALIBERTÉ et TREMBLAY, L’organisation du travail et la santé mentale dans les organismes communautaires : regard sur une situation méconnue, Rapport de recherche, Direction de la Santé publique de Québec, 8 mai 2007.

[3] DEJOURS C., Souffrance en France, la banalisation de l’injustice sociale, Paris, Le Seuil, 1998.

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