Mon blog professionnel, à l'attention des dirigeants d'entreprises, fait un point régulier sur les questions de management, gestion des crises. Il suit de près l'actualité sociale, les risques psychosociaux et les négociations en cours
Il suffit d'un geste
François Roustang
Odile Jacob, 2003
Une question : qu'est-ce qui guérit le mieux, les mots ou les gestes? La parole ou le mouvement? C'est le thème qui anime depuis plus de vingt ans François Roustang, philosophe et psychanalyste de formation, hypnothérapeute dans sa pratique.
Il est vrai que l'idée d'hypnose fait frémir, car elle traîne dans son sillage un parfum manipulatoire et l'idée d'une perte de contrôle de soi-même. D'emprise. Or, ce que propose François Roustang, avec prudence et lenteur - à l'image de sa pratique, j'imagine -, c'est précisément de nous déprendre de cette tentation de contrôler notre vie en la pensant et en l'accoutrant de mots.
Tout au contraire, sa pratique s'assimile à une "déparole qui vise à faire perdre aux mots toute signification. La parole est ici utilisée à l'envers pour introduire à l'expérience qui est non pas la recherche de sens, mais une entrée de la perception de la personne tout entière dans le sens de la vie". En somme, préférer le geste à la parole.
Il est vrai que, depuis la Renaissance au moins, nous avons considéré que la conquête de l'individuation passait par la pensée de soi quand les gestes nous rattachaient au faire et au servage. Mais, ce faisant, nous avons négligé la dimension kinesthésique du vivre. Et du penser.
Fauteuil ou divan ?
À la suite de l'expression de ces positions François Roustang introduit un premier débat, celui de la posture du patient lors de la cure. On sait, en effet, le rôle du divan chez Freud comme chez Lacan. Ici, tout au contraire, l'auteur considère que la position assise "suppose la vigilance". Comme un cavalier, le sujet retrouve son assiette dans une vigilance ouverte à ce qui advient, holiste plutôt qu'atomiste, au sens où elle demeure attentive au tout et aux relations entre ses éléments. Et simple, en sachant que "depuis que nous sommes sortis de la petite enfance, toute simplicité ne peut être que le fruit d'un long apprentissage".
Deuxième considération fondatrice, le refus de réaliser une archéologie individuelle au cours de la thérapie car les "sentiments, émotions ou souvenirs ne sont que les témoins d'un passé déjà mort". Au contraire, "les maux dont nous souffrons sont pris dans la glace de notre système relationnel". Alors, concentrons-nous moins sur l'objet que sur l'espace, propose François Roustang.
Ainsi le symptôme, objet de la plainte, prendra-t-il son sens en s'immergeant dans une fluidité que le geste aura préalablement reconstituée. "Cette opération achevée, le symptôme n'a plus besoin d'être affublé d'un sens, il est réinstauré dans le sens et la direction de son état et de sa fonction". Donc, "peu importe de parler ou se taire! L'essentiel est de faire en sorte que la parole ne gêne pas le geste qui unifie la complexité".
Nous devons ainsi considérer que l'acte de nommer induit une diffraction, alors que la cure vise à concentrer l'attention sur la réponse la mieux adaptée au sujet. C'est d'ailleurs pourquoi le changement thérapeutique se repère à la modification du comportement qui posait problème. Et de rappeler cette phrase d'Épictète : "pour faire de quelque chose une habitude, faites-là; pour ne pas en faire une habitude, ne la faites pas; pour vous défaire d'une habitude, faites-en une autre à la place".
Perceptude
Vient alors le conseil, dans sa surprenante simplicité : "demandez à quelqu'un d'accomplir un geste qui prenne en compte tous les paramètres de son existence. S'il le peut en vérité, peu de symptômes résistent. Il en est de même si vous l'invitez à prendre une posture qui fasse disparaître son angoisse ou son mal". Mais, ceci ne se produira que dans la transe qui libère des inhibitions et des clôtures mentales.
Deuxième recommandation : supposez le problème résolu. Par là, le thérapeute communique un optimisme serein au patient, lequel n'est plus invité à penser mais à se mouvoir dans la nouvelle situation.
La parole du thérapeute se fait alors suggestive, évocatrice et ouverte, à la recherche d'images motrices pour passer de perceptions diffractées à la "perceptude", soliste, globale, systémique. Et François Roustang d'ajouter, "l'état d'hypnose, tel que je le comprends, ne serait rien d'autre que la perceptude". Son enjeu premier serait là, passer de la perception à la "perceptude".
Une voie différente de celle du coach en ce sens qu'elle transite par l'hypnose, mais un but proche et des méthodes souvent voisines : vision systémique, supposition du problème résolu, lâcher prise… Et une lecture stimulante pour les coachs et thérapeutes saisis de vertige lors d'une séance qu'ils ont le sentiment de ne plus "maîtriser"...