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Mon blog professionnel, à l'attention des dirigeants d'entreprises, fait un point régulier sur les questions de management, gestion des crises. Il suit de près l'actualité sociale, les risques psychosociaux et les négociations en cours

Un petit retour aux sources de la pensée constructiviste

RéalitéPaul Watzlawick

 

La réalité de la réalité

Confusion, désinformation, communication

 

Traduit par Edgar Roskis

Première édition Random House, New-York et Toronto, 1976

Éditions du Seuil, Paris 1978 – Collection Points essais, 1984

 

Cet ouvrage de référence, publié en 1976 par Paul Watzlawick, thérapeute au Mental Research Institute de Palo Alto et professeur à Stanford, demeure aujourd’hui encore une des pierres angulaires de la pensée constructiviste. Dès la première phrase, l’auteur fixe clairement son propos en indiquant s’attacher au « procès par lequel la communication crée ce que nous appelons réalité ». Et, quelques lignes plus loin, il précise ainsi sa vision : « de toutes les illusions, la plus périlleuse consiste à penser qu’il n’existe qu’une seule réalité. En fait, ce qui existe, ce sont différentes perceptions de la réalité, dont certaines peuvent être contradictoires, et qui sont toutes des effets de la communication, non le reflet de vérités objectives et éternelles ». - Au secours Saint Thomas ! Comment puis-je encore croire ce que j’imagine voir ?

 

Particulièrement édifiante apparaît cette approche pour les gens de communication, pour les coachs et pour tous ceux qui s’intéressent aux relations humaines. P.W. la définit en l’opposant à la démarches scientifique traditionnelle en relevant que « l’interprétation scientifique dispose de deux méthodes : l’une consiste à développer une théorie pour montrer dans un deuxième temps comment les fait observables la corroborent ; l’autre présente de nombreux exemples tirés de contextes différents, puis entreprend d’en dégager, d’un point de vue pratique, la structure commune et les conclusions qui s’ensuivent. Dans la première, les exemples ont valeur de preuve ; dans la seconde, leur fonction est métaphorique et illustrative : ils sont là pour expliquer quelque chose, pour le transcrire dans un langage plus accessible, mais nécessairement dans le but de prouver quoi que ce soit. J’ai choisi la seconde approche… »

 

Beaucoup de nos pratiques se tiennent dans ces affirmations : ne pas chercher à prouver mais à illustrer, non pour démontrer une vérité transcendante mais pour aider à faire émerger la voie pragmatique vers une solution. La meilleure ? Allez savoir, mais du moment où elle est satisfaisante, elle est bonne.

 

1 – La confusion

Dès qu’il s’agit d’interactions humaines, il est important de favoriser la compréhension et de réduire la confusion, sachant toutefois que tout comportement en présence d’autrui a valeur de message et qu’en ce sens il définit et modifie le rapport entre les personnes. Une des difficultés régulièrement rencontrés par les traducteurs face aux significations multiples des messages, quand ceux-ci ne se trouvent pas affectés de la fameuse « double contrainte » (double bind). Comme lorsqu’on exige de quelqu’un un comportement qui, par sa nature même doit être spontané (ex. « sois spontané »), et qui, de ce seul fait ne peut plus l’être.

 

Mais, la confusion ne présente pas que des inconvénients. Elle aiguise aussi nos sens et notre attention aux détails. On l’utilise en psychothérapie pour transformer la vision d’une personne et le concept taoïste de wu-wei (inattention délibérée) met en évidence combien il peut être important de ne pas laisser son esprit conduire toute chose (dans l’art chevaleresque du tir à l’arc, par exemple).

 

D’ailleurs, dans les situations où nos capacités habituelles de perception et d’intelligence ne suffisent plus à fournir des réponses, nous avons recours à certaines autres capacités qui ne semblent pas gouvernées par la conscience… Où l’on retrouve la valeur du lâcher-prise !

 

2 – La désinformation

P.W. emprunte ce terme au monde du renseignement, soucieux souvent de brouiller la vision du réel que se forme l’adversaire pour provoquer chez lui des réactions obéissant à une logique fallacieuse, un peu comme les animaux soumis à des expériences de récompense arbitraire.

 

D’autant qu’il est démontré, par Alex Bavelas, « qu’une fois notre esprit emporté par une explication séduisante, une formulation la contredisant, loin d’engendrer une correction, provoquera une élaboration de l’explication ». Ce qui signifie que l’explication devient « autovalidante » en ce sens qu’elle peut se renforcer autant par une preuve de sa vérité que par sa réfutation. Et que, l’ordre et le chaos, contrairement à l’opinion générale, ne sont pas des vérités objectives mais qu’ils se trouvent déterminés par le point de vue de l’observateur. Ce que P.W. nomme « ponctuation » (i.e. point de vue) en renvoyant à titre d’exemple au vieux dilemme de l’œuf et de la poule dont l’antériorité d’un des deux termes est le seul fait du choix d’un point de vue.

 

D’ailleurs, on n’est pas obligé de croire vrai tout ce qui s’affirme, il suffit qu’on le tienne pour nécessaire. Telle est la prémisse des désinformations produites par les rumeurs comme la célèbre « rumeur d’Orléans », étudiée par Edgar Morin ou par le désir ardent que nous éprouvons de nous trouver en accord avec notre groupe de référence. De cette obligation dans laquelle nous nous trouvons de ponctuer une interaction, résultent inévitablement des règles interprétatives quant à ce qui est advenu. Et, au fur et à mesure des échanges, chaque message, quelle qu’en soit la forme, réduit inévitablement le nombre possible des mouvements suivants.

 

Il y a ainsi dans la relation intersubjective une dimension presque toujours circulaire, comme en témoigne le « dilemme des prisonniers » énoncé par Albert Trucker, professeur de mathématiques à Princeton : un magistrat tient deux hommes pour suspects d’un vol à main armée ; les preuves manquent pour porter l’affaire devant les tribunaux ; il convoque les deux hommes et leur dit avoir besoin d’aveux pour les faire inculper, sans quoi il peut seulement les poursuivre pour détention d’armes à feu, délit qui les fait encourir six mois de prison ; s’ils avouent tous les deux, il leur promet la sanction minimale pour vol à main armée, soit deux ans ; mais, si un seul avoue, il sera considéré comme témoin officiel et relaxé, tandis que l’autre écopera du maximum, soit vingt ans. Puis il les fait enfermer dans des cellules séparées à partir desquelles ils ne peuvent pas élaborer une décision commune. Que faire face à cette situation ? Ne rien dire et prendre six mois est certainement la plus économique des solutions. Mais, si l’un d’eux en vient à se demander « et si mon compagnon profitait de la situation pour avouer ? » … À partir d’ici intervient une question centrale de la relation intersubjective : « que pense-t-il que je pense qu’il pourra penser que je pense… » Ad infinitum, on retrouve alors la problématique de la désinformation et de la contre-désinformation par les services secrets ou les stratèges.

 

De fait, on confond généralement deux aspects différents de la réalité. « Le premier a trait aux propriétés purement physiques, objectivement sensibles de choses, et est intimement lié à une perception sensorielle correcte, au sens « commun » ou à une vérification objective, répétable et scientifique. Le second concerne l’attribution d’une signification et d’une valeur à ces choses et il se fonde sur la communication », distingue P.W. Pour ma part, je préfère réserver le mot de « réel » au premier sens et considérer la « réalité » comme se référant au second.

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