Boris Cyrulnik
Mourir de dire
La honte
Odile Jacob, Paris, septembre 2010
Boris Cyrulnik continue d’explorer nos âmes, avec cette proximité tendre et souriante qui caractérise son écriture. Dans son dernier opus, il aborde le thème si complexe de la honte qui se situe au point de contact de l’individu et de son environnement humain, du psychologique et du social.
En partant d’anecdotes vécues, il décortique ce sentiment qui s’inscrit dans l’image de soi déchirée et rejetée par les autres, que perçoit le honteux. Tout tient dans cette perception et dans l’évaluation qu’il en fait. Ce qui, un jour fait honte, plus tard - ou pour un autre-, vu sous un angle différent, constituera peut-être une singularité qui créera une manière de fierté. Il en va ainsi, de toutes ces différences douloureuses qui impriment leur marque en nous.
Mais, chacun sa résilience. Comme l’ambitieux, qui n’est souvent qu’un honteux ayant su trouver la force de se réhabiliter à ses propres yeux. Cyrulnik est bien là, dans cet optimisme constant qui s’attache à montrer que nos blessures, pourvu qu’on parvienne à les dépasser, nous renforcent à long terme.
Car, souligne-t-il, « le je n’existe qu’auprès d’un autre ». Aussi individualiste soyons-nous, le besoin du groupe est inscrit en nous. Or, tout groupe humain s’organise pour faire honte à ceux qui n’appartiennent pas à sa communauté. Pensez à ces rituels sociaux qui font moquer ceux qui ne les maîtrisent pas : baisemain, rince doigts à ne pas confondre avec une boisson désaltérante…
La honte peut disparaître en quelques instants ou bien s’accrocher et durer. Parfois même elle se coule dans un caveau silencieux peuplé de fantômes qui viennent régulièrement nous tirer par les pieds. Toutefois, il est possible de s’en libérer grâce à un processus de « restructuration cognitive ». Autrement dit, un remaniement de la représentation de soi. Mais, cela ne repose pas sur une simple volonté personnelle car, l’acquisition de la vulnérabilité dépend beaucoup des émotions des autres. Voyez, par exemple, combien les émotions d’une mère se transmettent à son enfant et s’inscrivent en lui durablement.
Ces considérations nous renvoient, bien sûr, à la façon dont certaines victimes de risques psychosociaux se dégradent à leur propres yeux et se recroquevillent dans l’effacement de l’estime de soi et dans l’humiliation qui les efface des relations sociales.
Voilà une lecture qui aidera peut-être certains lecteurs à « sortir de la honte comme on sort d’un terrier », selon l’expression taillée par Cyrulnik. Pour les autres, elle les fera sans doute avancer un peu plus dans la compréhension de leurs congénères atteints par ces souffrances silencieuses qui caractérisent tant notre époque.