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24 février 2013 7 24 /02 /février /2013 17:40

 

imagesJoan Tronto inscrit ses réflexions dans le mouvement du care, fondé sur une approche féministe de l’éthique (voir C. Gillighan). Sa spécificité réside dans la relation étroite qu’elle introduit entre éthique et politique. Ainsi, elle écrit : « … pour prendre la morale au sérieux, il nous faut cesser d’y réfléchir à travers sa seule dimension morale », et la comprendre « dans son contexte politique ».

 

S’intéresser au réel

Il s’agit pour elle de rompre avec la morale abstraite et distanciée dans la suite de Kant, pour s’engager dans une approche éthique, plus en lien avec ses dimensions émotionnelle, déictique et intersubjective. Le cœur de son travail se tient dans la problématique du traitement de « l’outsider » ou « l’autre distant ». Ainsi, « une première avancée de ce processus consiste à reconnaître que les frontières actuelles de la vie morale et politique sont tracées de sorte que les préoccupations et les activités des moins puissants sont exclues des préoccupations centrales de la société ».

 

Or, ce passage d’une morale d’essence supérieure et métaphysique à une éthique accrochée au réel, conduit à abandonner le dilemme traditionnel de l’autonomie individuelle ou de la dépendance pour un sentiment plus élaboré et plus contemporain de l’interdépendance humaine. Et, pour préciser sa conception du care (soit « sollicitude » ou « soin »), elle en distingue quatre dimensions, emboîtées l’une dans l’autre :

 

- se soucier (caring about), puisque le care implique d’abord le reconnaissance de sa nécessité (cf. Paul Ricoeur) et l’attention à l’autre

 

- prendre en charge (taking care of), qui manifeste la reconnaissance du fait qu’il est possible d’agir pour traiter les besoins insatisfaits en pleine responsabilité

 

- prendre soin (care giving), qui suppose la rencontre directe avec les besoins de sollicitude et exige une compétence humaine

 

- recevoir le soin (care receiving), c’est-à-dire reconnaître que celui qui reçoit le soin réagit (d’une manière ou d’une autre) au soin qu’il reçoit, tant il est vrai qu’il faut lui reconnaître sa capacité autonome de réponse.

 

De là découle une approche interactive, ou plutôt systémique et constructiviste de la relation d’attention à l’autre. Elle éclaire d’une lumière utile nos propres approches d’une éthique attentionnée de la relation, notamment dans les processus professionnels et dans le travail de coaching.

 

L’approche care

À l’évidence, ce regard éthique ne va pas sans engendrer une série de dilemmes que Joan Tronto éclaire de ses convictions sociales et de sa foi dans la qualité humaine de chacun, à commencer par les plus faibles et les plus vulnérables.

 

Elle est ainsi conduite à affirmer que le care ne peut se comprendre que sous la forme d’une rationalité pratique et qu’il ne faut pas détourner les yeux des conflits qu’il peut induire, à la différence de ce qui se passe dans nos bureaucraties qui ne traitent d’un sujet qu’en le tenant à distance, en le dématérialisant.

 

Ainsi, entrer dans une approche care, impose de renoncer au modèle pour accepter la dimension profondément locale et intime de toute relation humaine. Lorsque nous entrons dans cette rencontre que représente le coaching, c’est notre être entier qui entre en relation avec l’autre dans sa totalité, au sein d’un processus dont nous devons, certes, assurer la maîtrise, mais dont nous en reconnaissons la dimension processuelle, ductile et parfaitement interactionnelle. Nous voici alors, l’un et l’autre – caregiver et care receiver- placés exactement sur le même plan.

 

De ce fait, le care nous place en situation de fragilité. Une fragilité émotionnelle qui, paradoxalement, donne à la responsabilité relationnelle sa pleine puissance en termes de levier de changement. C’est l’émotion qui fait bouger la boule jusque là ankylosée.

 

De ces analyses émergent les principales valeurs du care

Ainsi, l’attention à l’autre, nécessaire au déclenchement de la première étape du care, le souci de l’autre, représente un réel accomplissement moral. Il se manifeste dans la suspension de nos objectifs personnels, de nos préoccupations, de nos ambitions pour nous ouvrir complètement à cet autre que nous rencontrons.

 

La responsabilité, indispensable à la prise en charge, deuxième étape du care, s’inscrit pour sa part dans un ensemble de pratiques plutôt que dans des règles formelles ou une série de promesses.

 

Quant à la compétence, elle est une notion morale à la racine de la prise en charge, troisième phase du care. Cette exigence revient à l’évidence à inscrire le care dans un conséquentialisme moral, au cœur, à notre sens, de toute éthique professionnelle.

 

Enfin, la capacité autonome de réponse, reconnue à l’autre dans la quatrième phase du care (recevoir le soin), renvoie à la notion de « protection des vulnérables », introduite par Robert Gooding, qui revient à comprendre les besoins de l’autre autrement qu’en se figurant à sa place.

 

On peut le constater, le soin repose sur la satisfaction des besoins (de l’autre ou de sa communauté ou encore de la société). Mais comment les déterminer ? En s’attachant à l’écoute de l’autre dans la relation interpersonnelle. Cependant, qu’en est-il du care en termes de société ? C’est là que l’éthique du care rejoint la théorie de la justice, si puissamment mise en évident par Rawls.

 

Et si l’éthique du care correspondait aujourd’hui à la mise en mouvement d’un nouveau pouvoir des faibles ?  

TrontoJoan Tronto

Un monde vulnérable, pour une politique du care


E. la découverte – Coll. Textes à l’appui – Paris, 2009

Ed originale : Routledge – New York, Londres, 1993.

 


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Présentation

  • : Le blog de Patrick Lamarque
  • : Mon blog professionnel, à l'attention des dirigeants d'entreprises, fait un point régulier sur les questions de management, gestion des crises. Il suit de près l'actualité sociale, les risques psychosociaux et les négociations en cours
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L'animation ci-dessous présente ma pratique du coaching individuel et d'équipe à destination des dirigeants. En cliquant sur l'image en bas à droite (petite croix) vous pourrez l'ouvrir en mode plein écran et, ainsi, la lire plus confortablement.

 


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Patrick Lamarque est conseil de dirigeants en stratégie, gestion des crises et management du changement. Il est également coach pour dirigeant privés et publics et expert en prévention des risques psychosociaux. Il opère en France et à l’étranger.


Ancien élève à l'Ecole Nationale d’Administration, Patrick Lamarque, dans les années 80, a créé la mission communication interne et maîtrise du climat social à la Ville de Paris, coordonné la communication gouvernementale auprès du Premier ministre et conseillé pour sa communication le ministre de la Défense. Dans les années 90, il dirige la communication de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Bordeaux, puis celle de la Ville et de la Communauté Urbaine de Lyon. Il est ensuite appelé comme Conseiller auprès du Secrétaire d'État à la Défense, puis auprès de la Secrétaire d’Etat aux Personnes handicapées avant d’être chargé de la concertation et de l’accompagnement social à la Délégation Générale pour l’Armement.


Introducteur des études qualitatives dans l’analyse politique il a développé ces méthodes pour structurer une démarche globale de maîtrise du climat interne de l’entreprise. Il a développé une approche novatrice d’entretiens de confrontation pour la résolution de conflits.


À partir de son expérience dans la gestion de la communication de la Défense durant la première guerre du Golfe, il a créé une méthodologie de maîtrise des crises qui a fait ses preuves dans de multiples situations difficiles, lors de crises de changement, de situations d’urgence psychosociale ou de plans de sauvegarde de l’emploi.


Il a enseigné à l’ENA, au CELSA, à l’EFAP, dans plusieurs universités françaises ainsi qu’à l’École Supérieur du Commerce et des Affaires de Casablanca et à l’Université de Buenos-Aires. Il est l'auteur d’une vingtaine d’ouvrages.

 

 

 

Le jardin haïku

 

Quelques beaux poêmes

 

Dans une vieille mare,

une grenouille saute,

le bruit de l'eau.

Bashö (1644-1694)

 

 

Porté par l'obscurité.

Je croise une grande ombre

dans une paire d'yeux.

Tomas Transtromer (Prix Nobel 2011), traduit par Jacques Outin


 

Sur la plage

je regarde en arrière

pas la moindre trace de pas.

Hosai  (1885-1926)

 

 

J'étais là moi aussi -

et sur un mur blanchi à la chaux

se rassemblent les mouches.

Tomas Transtromer (Prix Nobel 2011), traduit par Jacques Outin

 

 

Il n'y a rien

dans mes poches -

rien que mes mains.

Kenshin (1961-1987)

 

 

Un papillon blanc sort
D'entre les rayures d'un zèbre.

Sei Imai

 

 

Plus que de l'aveugle
Du muet fait le malheur

La vue de la lune.

Kyoraï

 

 

Au coucou

Elle ne répond rien

La girouette en fer.

Seiho Awano

 

 

Un papillon
vole au milieu
de la guerre froide
Nakamura Kusatao
 

 

 

Le printemps passe.

Les oiseaux crient

Les yeux des poissons portent des larmes.

Bashö (1644-1694)

 

 

Plutôt  que les fleurs de cerisier

Les petits pâtés !

Retour des oies sauvages.

Matsunaga Teitoku (1571-1654)

 

 

Que n'ai-je un pinceau
Qui puisse peindre les fleurs du prunier
Avec leur parfum!
Shoha
 

 


 

Quelques essais personnels

 

Le bolet doré

au couteau de l'automne

craque mollement.

P.L.

 

 

La nuit est posée

l’hiver gagne la ville –

Frisson de moineau. 

P.L.


 

Un mille-pattes trébuche

-bruit de catastrophe-

entre quelques brins d'herbe.

P.L.


 

Cul grisâtre 

d'une bouteille lancée

dans la mer étroite -

bonjour Trieste.

P.L.

 

 

Goutte à goutte

- loupes hallucinées -

le toit s'égoutte.

P.L.

 

 

Au profond de la nuit

rentrent les meurtriers

le devoir accompli.

P.L.

 

 

Tendu comme un arc,

l'hiver scarifie

d'une autre ride le visage.

P.L.

 

 

Dans la nuit luisante

résonnent des pas

- un chien lève la patte -

P.L.

 

 

Inconsciente,

la rue se rue

vers sa fin.

P.L.

 

 

Au bal de la nuit

aux phalènes,

le pied glisse

sur les cadavres joyeux.

P.L.

 

 

La brume

nappe le relief

du jardin myope.

PL

 

 

Le rictus du caïman

remonte à l'oeil qui pétille.

Sa proie lui sourit.

PL

 

 

Le lacet défait

flâne près du soulier -

Le nez au vent.

PL

 

 

Elle a renversé son sac

à la recherche de ses clés -

Sourire amusé.

PL

 

 

Elle s'est jetée dans l'étang -

La lune abîmée

de désespoir.

PL

 

 

Où va la nuit dans le noir

quand je me retiens

de bouger et de vouloir?

PL

 

 

Le temps de la cigale

stridule sans fin,

puis tombe la nuit.

PL

 

 

Les bras écartés

il surgit de la neige

l'épouvantail brun.

PL

 

 

Aux oiseaux inquiets

l'épouvantail tend les bras -

Je crais pour ma vie.

PL

 

 

Le crabe rougit

découvrant la baigneuse -

L'eau s'est troublée.

PL

 

Le coin des livres


Réalité

Ch. André Psycho de la peur

Bruno


Precht


Billeter

Rencontres


Ch André


Savoir attendre

Gilligan

EKR

Cyrulnik-Morin


Dejours light
Cyrulnik light
Talaouit
41yAu4IM-BL. SL500 AA300
MFH

Daewoo

 


La phrase du moment

Rien n'est plus pratique qu'une bonne théorie - Kurt Lewin.

 

Patrick Lamarque

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