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31 mars 2011 4 31 /03 /mars /2011 13:12

Cyrulnik-MorinBoris Cyrulnik et Edgar Morin

Dialogue sur la nature humaine

La Tour-d'Aigues, L'Aube poche, 2010, 75 pages


Vous voulez disposer rapidement d'une réelle compréhension de la notion de complexité, chère à Edgar Morin et d'une perspective sur le constructivisme en sciences humaines, parce que ces théories sont essentielles aujourd'hui? Alors lisez ce petit ouvrage de 78 pages, issu d'un échange entre Boris Cyrulnik, le père de la notion de résilience, et Edgar Morin. C'est limpide et profond.

Sur la complexité

B. C. "Soit nous décidons d'être spécialiste, une situation tout à fait confortable intellectuellement puisqu'il nous suffit d'accumuler de plus en plus d'information sur un point de plus en plus précis (...). Soit nous décidons d'être généraliste, c'est-à-dire mettre notre nez, un peu à chaque fois, dans la physique, la chimie, la biologie, la médecine légale, la psychologie : on finit alors par n'être spécialiste en rien, mais on a la meilleure opinion sur la personne qui nous fait face et qu'on appelle l'homme".

En réponse, E. M. nuance le propos en soulignant qu'il n'est pas interdit de disposer d'un corpus de connaissances approfondies mais que "le vrai problème est de pouvoir faire la navette entre des savoirs compartimentés et une volonté de les intégrer, de les contextualiser ou de les globaliser". Ainsi a-t-il constaté que l'anthropologie - la science de l'homme- est "quelque chose de tronqué, de mutilé" car on y élimine l'homme biologique. Et d'ajouter : "mais il y a besoin d'un long commerce pour que l'interdisciplinarité devienne féconde". Plus loin, on trouve cette définition éclairante : "la pensée complexe essaie en effet de voir ce qui lie les choses les unes aux autres, et non seulement la présence des parties dans le tout, mais aussi la présence du tout dans les parties". Comment ne pas les dissocier? "L'idée qui me semble très importante, souligne E.M., est celle d'émergence"... Une leçon pour le coach qui cherche à pénétrer le fonctionne d'un tout - l'entreprise, l'équipe, le service- à travers le contact avec son client.

Sur l'homme

Un premier constat oriente la réflexion sur le développement de l'homme. Un petit d'homme qui vient au monde ne peut devenir qu'un homme, du fait de son programme génétique. En même temps, il peut devenir "mille hommes différents selon son façonnement affectif, maternel, familial et social. Même la société peut participer à la structuration du cerveau!", s'exclame Boris Cyrulnik en ajoutant que l'isolement et la privation de l'autre ne permettent pas à l'homme de se construire (on nomme ces cas, en Allemagne, les "Gaspar Hauser").  Nous nous construisons donc, au moins en partie, dans cet espace interstitiel qui nous relie à nos semblables et au monde.

En même temps, en concevant le monde, nous le virtualisons et cette dimension cognitive crée autour de nous "une noosphère, c'est-à-dire une sphère de produits de nos esprits (...) qui va entourer l'humanité comme les nuées qui entouraient la marche des Hébreux dans le désert", souligne E.M. en ajoutant : "Je pense que nous ne réalisons pas que les idées - qui sont désormais nos intermédiaires nécessaires pour communiquer avec la réalité - vont aussi masquer la réalité et nous faire prendre l'idée pour le réel". "Le principal organe de la vision, c'est la pensée", note-t-il un peu plus loin.

Il faut en effet constater, avec B.C. que si les animaux vivent dans un monde essentiellement contextuel, "l"homme, lui, vit essentiellement dans un monde du récit, du virtuel, de l'aabstraction, des lois méthématiques. Nos émotions ont un pied dans la matière cérébrale". Ainsi,notre pensée organise-t-elle notre perception du réel et entre nous, le monde et nos semblables se construisent des inter-relations qui favorisent la diversité humaine. Accomplir l'unité de l'espèce humaine tout en respectant sa diversité, est donc non seulement une idée de fond, mais un projet essentiel.

Sur la vérité

Lorsqu'une opération est réalisée en laboratoire, on constate qu'elle est un leurre en ce sens qu'elle isole les phénomènes et simplifie la réalité. Il en va de même des idées : lorsqu'elles sont organisées en théories, celles-ci se critiquent et se régénèrent. Quand elles s'enferment en doctrines, elles s'enkystent. "Il me semble que lorsqu'une théorie devient trop cohérente, elle perd sa fonction de pensée, note B.C.;elle sert à unir certes, mais non à penser". Un peu plus loin, il ajoute, "les seuls à avoir des certitudes sont les délirants".

Faire oeuvre de culture, c'est alors donner au citoyen la capacité de dépasser les frontières et les compartiments clos des différents domaines du savoir. C'est, en même temps, faire oeuvre démocratique car elle permet de décrire une vérité et une identité plurielles, tout au rebours de la vérité absolue à laquelle se réfèrent tous les grands crimes contre l'humanité.

Le danger aujourd'hui "c'est le fragment  -le fragment nationaliste- qui veut se considérer comme la seule vraie totalité", conclut Edgar Morin, tandis que Boris Cyrulnik note en écho, "il faut être soi pour rencontrer".

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10 février 2011 4 10 /02 /février /2011 22:58

Dejours lightChristophe Dejours

Travail Vivant

tome 2 Travail et émancipation

Paris, Payot, 2009, 242 p.

Psychanalyste et psychiatre, professeur au Conservatoire National des Arts et Métiers, Christophe Dejours s’attache à produire une théorie du travail qui accorde à la pratique professionnelle une place aussi structurante que la sexualité dans les conceptions de Freud : « une théorie du travail qui soit aussi une théorie de l’être humain, de l’intelligence individuelle et de l’intelligence collective. En d’autres termes, dit-il, ce dont on a besoin, c’est d’une théorie du « travail vivant » (p. 214), qualifiant son approche de « paradoxe de la double centralité », centralité de la sexualité pour la psychanalyse et centralité du travail pour la psychodynamique du travail.

Pour l’auteur, opposé aux théories de l’aliénation dans le travail, celui-ci serait « une condition immanente de toute connaissance du monde » (p. 73), un moyen d’émancipation qui implique l’intelligence du travailleur dans son corps à corps avec la matière, l’outil ou l’objet technique. Il introduit ainsi une distinction féconde entre l’action (celle que décrivent les démarches processuelles) et l’activité qui désigne le résultat de la production. Dit autrement, le travail de production (poïesis) est une épreuve pour la subjectivité tout entière d’où émergent de nouvelles habiletés, à la condition que cette épreuve soit relayée par un deuxième travail (arbeit) de soi sur soi, ou de transformation de soi.

A contrario, le travail révèle les maladresses, les limites du corps et les incomplétudes ou failles de l’identité. C’est pourquoi, nous avons également besoin de la théorie d’un sujet qui, à raison de ses vulnérabilités, peut aller soit vers l’accomplissement, soit vers un retournement contre lui-même. « Le travail, de ce fait, écrit Dejours, est un carrefour pour la fragilité constitutive de l’être humain » (p. 216).

Mais le travail, acte politique s’il en fut, est aussi le lieu du collectif et de la coopération. Or, la coopération exige un certain nombre de condition pour émerger : confiance et loyauté, éthique, arbitrage, consentement et discipline. « L’espace de délibération spécifique de la coopération est donc structuré comme un espace public », note-t-il en reconnaissant ce qu’il doit à Habermas (p. 81). Cette activité, Dejours la qualifie donc de déontique (du grec déon, le devoir). Je parlerais, pour ma part, d’une éthique performative.

Pour se déployer, l’activité déontique exige certaines conditions que nous croisons lorsque nous examinons les situations de risques psychosociaux : autonomie vis-à-vis de l’organisation du travail, soutien et confiance entre les acteurs. Toutes choses rendues quasi impossibles par les démarches d’individualisation de la performance et de la rémunération associée qui « banalisent les conduites déloyales entre collègues », remarque l’auteur en s’appuyant sur sa riche expérience clinique. « La peur et la déloyauté ont permis de continuer à dégraisser les effectifs sans que s’y opposent des mouvements sociaux de résistance significatifs. D’où il résulte un indéniable accroissement de la productivité et de la rentabilité du travail vivant », avec, pour contrepartie, « l’aggravation gigantesque des pathologies de surcharge et des pathologies mentales allant désormais jusqu’au suicide » (p. 86).

Pourtant, l’expérience montre que l’on pourrait « poser l’hypothèse que, dans la gestion de toute situation de travail, il est plus rationnel de tenir compte de la rationalité subjective des conduites que de l’écarter au nom des rationalités téléologiques et axiologique » (p.111). C’est ainsi que l’on pourra comprendre deux injonctions contradictoires au travail dans la coopération : le zèle et l’autolimitation et que l’on parviendra à « honorer la vie par le travail », selon sa jolie formule (p. 151).

Voilà un ouvrage majeur, essentiel pour qui entend considérer la part d’humain à réinjecter dans le travail pour qu’il devienne, lui aussi, soutenable.

 

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27 novembre 2010 6 27 /11 /novembre /2010 23:53

Cyrulnik light 

Boris Cyrulnik

 

Mourir de dire

La honte

 

Odile Jacob, Paris, septembre 2010

 

 

 

Boris Cyrulnik continue d’explorer nos âmes, avec cette proximité tendre et souriante qui caractérise son écriture. Dans son dernier opus, il aborde le thème si complexe de la honte qui se situe au point de contact de l’individu et de son environnement humain, du psychologique et du social.

 

En partant d’anecdotes vécues, il décortique ce sentiment qui s’inscrit dans l’image de soi déchirée et rejetée par les autres, que perçoit le honteux. Tout tient dans cette perception et dans l’évaluation qu’il en fait. Ce qui, un jour fait honte, plus tard - ou pour un autre-, vu sous un angle différent, constituera peut-être une singularité qui créera une manière de fierté. Il en va ainsi, de toutes ces différences douloureuses qui impriment leur marque en nous.

 

Mais, chacun sa résilience. Comme l’ambitieux, qui n’est souvent qu’un honteux ayant su trouver la force de se réhabiliter à ses propres yeux. Cyrulnik est bien là, dans cet optimisme constant qui s’attache à montrer que nos blessures, pourvu qu’on parvienne à les dépasser, nous renforcent à long terme.

 

Car, souligne-t-il, « le je n’existe qu’auprès d’un autre ». Aussi individualiste soyons-nous, le besoin du groupe est inscrit en nous. Or, tout groupe humain s’organise pour faire honte à ceux qui n’appartiennent pas à sa communauté. Pensez à ces rituels sociaux qui font moquer ceux qui ne les maîtrisent pas : baisemain, rince doigts à ne pas confondre avec une boisson désaltérante…

 

La honte peut disparaître en quelques instants ou bien s’accrocher et durer. Parfois même elle se coule dans un caveau silencieux peuplé de fantômes qui viennent régulièrement nous tirer par les pieds. Toutefois, il est possible de s’en libérer grâce à un processus de « restructuration cognitive ». Autrement dit, un remaniement de la représentation de soi. Mais, cela ne repose pas sur une simple volonté personnelle car, l’acquisition de la vulnérabilité dépend beaucoup des émotions des autres. Voyez, par exemple, combien les émotions d’une mère se transmettent à son enfant et s’inscrivent en lui durablement.

 

Ces considérations nous renvoient, bien sûr, à la façon dont certaines victimes de risques psychosociaux se dégradent à leur propres yeux et se recroquevillent dans l’effacement de l’estime de soi et dans l’humiliation qui les efface des relations sociales.

 

Voilà une lecture qui aidera peut-être certains lecteurs à « sortir de la honte comme on sort d’un terrier », selon l’expression taillée par Cyrulnik. Pour les autres, elle les fera sans doute avancer un peu plus dans la compréhension de leurs congénères atteints par ces souffrances silencieuses qui caractérisent tant notre époque.

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8 août 2010 7 08 /08 /août /2010 20:52

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Paul Virilio

 

L'administration de la peur

 

ÉD. Textuel, Paris, 2010

 

 

Paul Virilio, 78 ans, urbaniste d’origine, est devenu sociologue et philosophe à force de penser inlassablement la vitesse. Depuis 1977, date à laquelle il a publié Vitesse et Politique, essai sur la dromologie, il réfléchit à l’accélération du monde et à ses conséquences sur l’homme, l’économie, l’environnement, la géopolitique. Il lie le territoire aux technologies qui permettent de le parcourir et de le contrôler. TGV, pigeon voyageur ou Internet, avion ou minitel, qu’il s’agisse des techniques de communication ou des techniques de déplacement, il définit le territoire comme un espace-temps qui rapetisse.


Dans son dernier ouvrage, l’Administration de la peur, il  soutient que la peur est un moyen de gouverner. De fait, dans nos sociétés - des origines monarchiques à la démocratie -, la peur a toujours fait partie des moyens de gouverner. On le voit aujourd’hui avec les politiques sécuritaires. Le pouvoir de la peur domine le pouvoir de la reconnaissance du bien public. Toute une génération parle à travers ce livre et constate que la peur est entretenue par d’autres moyens, d’abord atomiques, puis terroristes et écologistes.

 

Virilio met ainsi en avant trois peurs : l’équilibre de la terreur, le déséquilibre de la terreur et la peur écologique. L’équilibre de la terreur a cessé avec la chute du mur de Berlin, cédant la place au déséquilibre de la terreur. Celui-ci correspond au terrorisme, qui peut survenir à tout instant, partout, à Londres, New York ou Madrid. Actuellement, nous vivons une nouvelle grande peur, la peur écologique.


Il faut absolument, soutient l'auteur, éviter que l’écologie conduise aux mêmes paniques. Après la forme interétatique de la guerre froide, forme plus complexe du terrorisme, la peur écologique lui  rappelle le Lebensraum, cette notion géopolitique de l’espace vital. Aujourd’hui, l’idéologie de l’espace vital peut se superposer à l’idéologie de l’écologie même s'il faut préserver notre lieu de vie.


Pourquoi cette peur ? parce que tout ce qui menace notre vie fait peur . Or, Ii ne faut pas avoir peur, mais faire face.  Il faut surtout refuser le "globalitarisme" écologique imposé par la peur, parce que c’est toujours au nom du bien que l’on terrorise et que les écologistes ont la tentation de gouverner par la peur. 


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19 avril 2010 1 19 /04 /avril /2010 21:22

MFH

Marie-France Hirigoyen


Le harcèlement moral,

la violence perverse au quotidien


Ed. La découverte et Syros, Paris 1998


Voici donc l’ouvrage fondateur. Celui grâce auquel la question du harcèlement moral a fait irruption dans nos préoccupations au point de susciter une révision du code du travail (le fameux article L. 232-2 sur la responsabilité du chef d’entreprise). C’est à partir de cet ouvrage qu’on a pris conscience qu’un mot pouvait tuer et que les armes de la manipulations, de la malveillance et de la persécution étaient employées dans la vie privée, sociale ou professionnelle.

Marie-France Hirigoyen, médecin et psychiatre formée à la victimologie, décrit par le menu ces relations dans lesquelles « le ou les agresseurs peuvent (…) se grandir en rabaissant les autres, et aussi s’éviter tout conflit intérieur ou tout état d’âme, en faisant porter à l’autre la responsabilité de ce qui ne va pas. (…) Or, ce type d’agression consiste justement à empiéter sur le territoire psychique d’autrui ». De plus, « le contexte socio-cuturel actuel permet à la perversion de se développer parce qu’elle y est tolérée. Notre époque refuse l’établissement de normes ».

 

Petites perversions quotidiennes


Aussi, son analyse de la perversité traverse les différentes situations susceptibles d’être vécues. Ce qu’elle donne d’abord à comprendre, c’est que la violence perverse constitue pour un individu défensif, destiné à ne pas assumer la responsabilité d’un choix difficile en en faisant porter la responsabilité à l’autre. Une manœuvre perverse vise à le déstabiliser pour le faire douter de tout, à commencer par lui-même. Dans l’entreprise, « c’est de la rencontre de l’envie de pouvoir et de la perversité que naissent les violences et les harcèlements. » Au prix de « petites perversions quotidiennes ».

C’est seulement au début des années quatre-vingt-dix que le phénomène a vraiment été identifié comme destructeur de l’ambiance de travail, diminuant la productivité et favorisant l’absentéisme par les dégâts psychologiques qu’il entraîne. Le harcèlement est d’abord un mécanisme répétitif. La mauvaise humeur ou les conflits peuvent toujours exister. Mais c’est la répétition des vexations, des humiliations qui constituent le dispositif destructeur. Et si personne n’intervient fermement, le registre habituel de l’entreprise s’accuse : une entreprise rigide devient plus rigide encore. Un employé dépressif, plus dépressif encore. Un agressif se fait plus agressif… Se crée alors un phénomène circulaire dont on perd la trace de l’origine et le conflit dégénère si l’entreprise refuse de s’en mêler. Ainsi, un pervers agit-il d’autant mieux que l’entreprise est désorganisée ou mal structurée.

 

Victimes non consentantes


N’imaginons pas que ceux qui sont visés par le harcèlement seraient d’éternels et naturels souffre-douleur. Au contraire, il se met en place lorsque la victime réagit à l’autoritarisme d’un chef. On trouve parmi les victimes beaucoup de personnes scrupuleuses qui se culpabilisent sous les reproches et surinvestissent dans un « présentéisme pathologique ». « Cette dépendance, ajoute Marie-France Hirigoyen, n’est pas uniquement liée à une disposition caractérielle de la victime ; elle est surtout la conséquence de l’emprise exercée par l’entreprise sur ses salariés ». Et, constate-t-elle un peu plus loin, « un grand nombre de responsables hiérarchiques ne sont pas des managers ».

Mais quels sont les moyens d’action des harceleurs ? D’abord, le refus de la communication directe. Puis, la disqualification de la victime, son isolement, des brimades, les tentatives de pousser l’autre à la faute. Toujours, le harcèlement prend racine dans une pratique de l’abus de pouvoir. Il est aussi facilité par les nouvelles formes de travail qui visent à accroître la performance en laissant de côté les éléments humains, au prix d’un stress accru. Et puis, il est vrai que le monde du travail « est extrêmement manipulateur », fait à la fois de séduction narcissique et de domination.

Dans une situation de harcèlement, il est fréquent qu’à la souffrance de la victime s’ajoute celle du harceleur, qui n’en est pas excusable pour autant. Il est alors temps d’agir pour revenir à des relations vivables.

 

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4 avril 2010 7 04 /04 /avril /2010 16:07

DaewooFrançois Bon


Daewoo


Paris,Fayard, 2004

 

 

 

La Lorraine. Paysage de fer et d'acier ravagé par la crise de la sidérurgie et "revitalisé" à coup de subventions publiques qui auront permis l'implantation de trois usines du groupe Daewoo, fabricant de fours à micro-ondes et de téléviseurs. Entre septembre 2002 et janvier 2003, les trois usines ferment brutalement. L'une d'entre elles sera incendiée. Pourtant, lorsque l'usine Famek est vendue aux enchères, aucune trace de cette violence ne subsiste. Pas plus que celle des 1200 personnes, surtout des femmes, jetées à la rue pour l'occasion.

 

François Bon est sollicité par le Théâtre de la Manufacture de Nancy pour réaliser une enquête sur le terrain, plusieurs mois après et mettre en mots les souffrances des ouvrières pour en créer une oeuvre théâtrale  Il les rencontre jour après jour pour reconstituer le puzzle et les entraîner dans une pièce qui les racontera. Le livre reprend ce compagnonnage sous une forme différente, mais avec la même puissance et la même vérité. On y retrouve les visages éprouvés par l'angoisse, le chômage à perpète, les fins de mois difficiles qui commencent très tôt et ces anciennes collègues qui tournent en rond chacune de son côté. Une fois, on apprend que l'une d'entre elle est devenue pocharde, une autre, que l'ancienne déléguée - une grande gueule, battante et tout- s'est suicidée en silence dans son HLM. On traverse la vie d'après, celle qui n'a plus sens ni espoir.

 

Un livre fort qui renvoie chacun de nous face à ses responsabilités sociales.



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6 mars 2010 6 06 /03 /mars /2010 19:11
Risques PS (VTE)SCOP VTE (Violence, Travail, Environnement)

Risques psychosociaux au travail

Paris, Éd. Liaisons sociales, 2008



VTE est un collectif pluridisciplinaire qui explore les risques psychosociaux au travail, constitué en Société Coopérative Ouvrière de Production depuis 1998. Il aborde la problématique des RPS en tentant de prendre en considération leurs différentes dimensions : il s'agit, écrive ses auteurs, de "considérer l'ensemble des conséquences de la situation. La crise ne touche pas seulement les salariés. Elle contamine l'ensemble de l'organisation du travail et de son management."

Phénomène systémique donc, qui nécessite cependant de regarder "les besoins des personnes tels qu'ils s'exprime" de sorte qu'entre "curatif et préventif, (...) il est impératif d'agir sur l'ensemble des niveaux de prévention..." D'où, leur refus des simplifications dans l'approche de la souffrance au travail et leurs efforts pour penser le "besoin de contenance", "d'enveloppe protectrice"  qui participe du sens du travail pour les salariés.

S'ensuit un parcours très clair à travers les concepts de de base, puis une série d'approches terrain : mal-être et stress, risques suicidaires, agressions, harcèlement, conflits, conduites addictives, plans sociaux.

Une lecture intéressante qui remet les choses en perspectives, en leur donnant leur juste place.
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28 février 2010 7 28 /02 /février /2010 22:18
BinebineMahi Binebine

Les étoiles de Sidi Moumen

Paris, Flammarion, 2010



Je connaissais Mahi Binebine comme l'un des meilleurs peintres et sculpteurs contemporains du Maroc. J'aime ses corps épurés et graphiques tendus par toutes les émotions du monde. La souffrance souvent. Le cri, la jouissance avec une irrésistible évocation du célèbre Guernica de Picasso. J'avais d'ailleurs trouvé beaucoup de plaisir à découvrir son exposition à Venise l'été dernier.

Mais, à ma grande honte, je ne connaissais pas l'écrivain. En traînant chez un libraire la semaine dernière je suis tombé sur son dernier opus, à peine sorti des presses. "Les étoiles de Sidi Moumen" s'inspire des attentats de Casablanca, le 16 mai 2003. Il y campe un enfant du bidonville de Sidi Moumen, en lisière de la capitale économique marocaine qui grandit parmi ses dix frères et ses copains, réunis dans une équipe de foot, Les étoiles de Sidi Moumen, laquelle brille dans le championnat des bidonvilles.

Avec une tendresse infinie, il décrit les combats, les souffrances et les petits bonheurs de celui qui a choisi le surnom de Yachine, parce qu'il est le goal de son équipe et qu'il admire le grand Lev. Tout Binebine est là, dans ce mélange de misère et de bonheurs simples, qu'il s'exprime avec le pinceau, le burin ou le stylo.

On renifle la puanteur de la décharge publique que les gamins fréquentent assidûment, le hashich et la colle qu'ils sniffent. On se glisse dans l'atelier de réparation de mobylettes et on prend part aux bagarres homériques où l'on étripe pour passer le temps et imposer son existence. On fréquente aussi ce garage désaffecté où un certain Abou Zoubeïr accueille un par un les gamins et leur promet un monde béni aux milliers de houris, ces vierges offertes à celui qui franchit les sept cieux pour atteindre la lumière. "À l'entendre, remarque le jeune Yachine, on aurait juré qu'il était mort dix fois et que dix fois il avait ressuscité..."

Progressivement, on comprend comment ces enfants élevés par la rue et la décharge reconstituent entre eux une famille de substitution et combien il est aisé, pour les jeunes prédicateurs, de camper pour eux les référents qui leur manquent. Jusqu'au carnage dans un grand hôtel.

Tout est suggéré de cette humanité humiliée et douloureuse et de la force que donne le groupe pour traverser les épreuves aussi bien que pour se jeter dans le néant. Une leçon pour qui, au-delà de la question des attentats s'efforce, de comprendre la dureté de certaines banlieues et, plus généralement, l'indispensable soutien du groupe pour affronter les épreuves. Quelle que soit leur nature. Dans la vie comme dans l'entreprise parce qu'aujourd'hui individualisme et compétition conjugués font qu'il est de plus en plus difficile "d'être soi", comme disait Ehrenberg.
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12 janvier 2010 2 12 /01 /janvier /2010 18:21
survivre aux crisesJacques Attali

Survivre aux crises

Paris, Fayard, 2009



Après la trêve des confiseurs, retour à la réalité. Cette réalité, c'est le monde en crise. Et on n'est pas sorti d'affaire.Même si les bourses ont repris du poil de la bête, plusieurs banques sont encore insolvables, les produits spéculatifs risqués continuent de s'accumuler, les déficits publics se creusent, le niveau de la production et la valeur des patrimoines restent inférieurs à ce qu'ils étaient avant la crise, le nombre des faillites croît, le chômage s'amplifie...

En résumé, «l'incapacité de l'Occident à maintenir son niveau de vie sans s'endetter, qui est la cause profonde de la crise, est loin d'avoir été résorbée», selon Jacques Attali. Et pour ne pas se faire mettre en pièces par cette crise, un seul impératif : ne compter que sur soi et adopter d'audacieuses stratégies. Car, à l'en croire, le pire reste à venir.

Dans ce nouvel essai, "Survivre aux crises", il propose une stratégie de survie destinée tant aux individus qu'aux entreprises ou aux gouvernements.

Cette survie, explique-t-il, se joue sur le long terme. Extrait : «Elle ne réside pas dans la conservation, mais dans le dépassement. Elle n'est pas un pari sur l'unité, mais sur la diversité. Elle dépend moins de la prudence et de la précaution que de l'audace. Elle n'est pas invite à la destruction des autres, mais à la construction de soi. Elle n'implique pas la compétition, mais la coopération et la recherche d'alliés.»

Concrètement, sa stratégie de survie s'organise autour des sept principes  :

1. Respect de soi-même : prendre pleinement conscience de soi et de son propre sort sans rien attendre des autres.

2. Intensité : se former une vision de soi-même et se projeter sur le long terme en n'oubliant jamais que le temps est une rareté et qu'il faut vivre chaque instant comme si c'était le dernier.

3. Empathie : toujours se mettre à la place des autres, tenter de les comprendre et d'anticiper leurs comportements afin de pouvoir identifier les amis et les ennemis.

4. Résilience : constituer assez de défenses, de réserves et de plans de rechange pour faire face à chaque difficulté.

5. Créativité : si la crise s'installe ou s'inscrit dans une tendance irréversible, transformez tout cela en opportunités.

6. Ubiquité : si malgré tous vos efforts vous ne vous en sortez pas, passez sans hésiter dans le camp des vainqueurs et tenez-vous prêt à naviguer dans l'ambiguïté et dans l'ubiquité.

7. Pensée révolutionnaire : dans une conjoncture extrême, osez transgresser les règles du jeu tout en persistant dans le respect de vous-même.

Reste simplement à appliquer le programme...

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10 janvier 2010 7 10 /01 /janvier /2010 19:05
MerveilleuxBoris Cyrulnick

Un merveilleux malheur

Odile Jacob, 2002 (édition originale 1999)


On s'est toujours émerveillé devant ces enfants qui ont triomphé d'épreuves immenses. Le malheur n'est jamais pur, pas plus que le bonheur. Un concept permet de comprendre comment ont fonctionné ceux qui en ont triomphé, celui de résilience. Il a fait avancer, depuis les années 70, l'approche de la maltraitance des enfants.

p. 8 "Quand le mot "résilience" est né en physique, il désignait l'aptitude d'un corps à résister à un choc. Mais il attribuait trop d'importance à la substance. Quand il est passé dans les sciences sociales, il a signifié "la capacité à réussir, à vivre et à se développer positivement, de manière socialement acceptable, en dépit du stress ou d'une adversité qui comportent normalement le risque grave d'une issue négative". Cette définition, citée par Cyrulnik, est empruntée à S. Vanistendael.

Pour l'auteur, une défense contre l'adversité, prend la forme de l'oxymoron, cette figure de rhétorique qui associe deux termes antinomiques (ex. l'obscure clarté). Par un travail sur lui-même, mais dans le contexte de son environnement, l'individu trouve la réponse personnelle qui lui permet de valoriser le positif qui est en lui.

Ainsi, la résilience est-elle une démarche personnelle dans laquelle intervient l'inter-relation avec le contexte. Face à l'adversité, certains individus sont plus résilients que d'autres et l'essentiel de la démarche de Cyrulnik consiste à s'attacher à observer ceux qui s'en sont sortis pour comprendre les moyens qu'ils ont mis en oeuvre? C'est une démarche originale qui dépasse le tropisme habituel du "professionnalisme" qui conduit, parce qu'il ne s'attache qu'aux cas difficiles, à prédire, par exemple, que ceux qui ont été maltraités, maltraiteront. Or, c'est ommettre une règle habituellement observée: 1/3 s'en sortent bien, 1/3 ont des difficultés, 1/3 basculent dans la délinquance. De plus, ceux qui ont traversé des épreuves difficiles, parce qu'ils deviennent plus créatif ou plus combattifs, réussissent souvent mieux que ceux qui n'ont pas connu de vraies difficultés.

Mécanismes à l'oeuvre chez les résilients :

> la sublimation (le rôle du rêve qui vous protège du réel ou qui vous pousse à espérer)
> le contrôle des affects et la relativisation des événements qui s'ensuivent
> l'humour et l'altruisme.

Mécanismes sociaux qui l'aident :

> l'exercice de la parole (à condition qu'elle ne devienne pas une arme contre les autres)
> la socialisation, le sentiment d'appartenir à un groupe, de ne plus être seulement marqué par son étrangeté
> le "pouvoir façonnant du regard des autres" (qui peut être très négatif ou très positif).

... S'en souvenir dans la gestion des risques psychosociaux...
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Présentation

  • : Le blog de Patrick Lamarque
  • : Mon blog professionnel, à l'attention des dirigeants d'entreprises, fait un point régulier sur les questions de management, gestion des crises. Il suit de près l'actualité sociale, les risques psychosociaux et les négociations en cours
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L'animation ci-dessous présente ma pratique du coaching individuel et d'équipe à destination des dirigeants. En cliquant sur l'image en bas à droite (petite croix) vous pourrez l'ouvrir en mode plein écran et, ainsi, la lire plus confortablement.

 


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Patrick Lamarque est conseil de dirigeants en stratégie, gestion des crises et management du changement. Il est également coach pour dirigeant privés et publics et expert en prévention des risques psychosociaux. Il opère en France et à l’étranger.


Ancien élève à l'Ecole Nationale d’Administration, Patrick Lamarque, dans les années 80, a créé la mission communication interne et maîtrise du climat social à la Ville de Paris, coordonné la communication gouvernementale auprès du Premier ministre et conseillé pour sa communication le ministre de la Défense. Dans les années 90, il dirige la communication de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Bordeaux, puis celle de la Ville et de la Communauté Urbaine de Lyon. Il est ensuite appelé comme Conseiller auprès du Secrétaire d'État à la Défense, puis auprès de la Secrétaire d’Etat aux Personnes handicapées avant d’être chargé de la concertation et de l’accompagnement social à la Délégation Générale pour l’Armement.


Introducteur des études qualitatives dans l’analyse politique il a développé ces méthodes pour structurer une démarche globale de maîtrise du climat interne de l’entreprise. Il a développé une approche novatrice d’entretiens de confrontation pour la résolution de conflits.


À partir de son expérience dans la gestion de la communication de la Défense durant la première guerre du Golfe, il a créé une méthodologie de maîtrise des crises qui a fait ses preuves dans de multiples situations difficiles, lors de crises de changement, de situations d’urgence psychosociale ou de plans de sauvegarde de l’emploi.


Il a enseigné à l’ENA, au CELSA, à l’EFAP, dans plusieurs universités françaises ainsi qu’à l’École Supérieur du Commerce et des Affaires de Casablanca et à l’Université de Buenos-Aires. Il est l'auteur d’une vingtaine d’ouvrages.

 

 

 

Le jardin haïku

 

Quelques beaux poêmes

 

Dans une vieille mare,

une grenouille saute,

le bruit de l'eau.

Bashö (1644-1694)

 

 

Porté par l'obscurité.

Je croise une grande ombre

dans une paire d'yeux.

Tomas Transtromer (Prix Nobel 2011), traduit par Jacques Outin


 

Sur la plage

je regarde en arrière

pas la moindre trace de pas.

Hosai  (1885-1926)

 

 

J'étais là moi aussi -

et sur un mur blanchi à la chaux

se rassemblent les mouches.

Tomas Transtromer (Prix Nobel 2011), traduit par Jacques Outin

 

 

Il n'y a rien

dans mes poches -

rien que mes mains.

Kenshin (1961-1987)

 

 

Un papillon blanc sort
D'entre les rayures d'un zèbre.

Sei Imai

 

 

Plus que de l'aveugle
Du muet fait le malheur

La vue de la lune.

Kyoraï

 

 

Au coucou

Elle ne répond rien

La girouette en fer.

Seiho Awano

 

 

Un papillon
vole au milieu
de la guerre froide
Nakamura Kusatao
 

 

 

Le printemps passe.

Les oiseaux crient

Les yeux des poissons portent des larmes.

Bashö (1644-1694)

 

 

Plutôt  que les fleurs de cerisier

Les petits pâtés !

Retour des oies sauvages.

Matsunaga Teitoku (1571-1654)

 

 

Que n'ai-je un pinceau
Qui puisse peindre les fleurs du prunier
Avec leur parfum!
Shoha
 

 


 

Quelques essais personnels

 

Le bolet doré

au couteau de l'automne

craque mollement.

P.L.

 

 

La nuit est posée

l’hiver gagne la ville –

Frisson de moineau. 

P.L.


 

Un mille-pattes trébuche

-bruit de catastrophe-

entre quelques brins d'herbe.

P.L.


 

Cul grisâtre 

d'une bouteille lancée

dans la mer étroite -

bonjour Trieste.

P.L.

 

 

Goutte à goutte

- loupes hallucinées -

le toit s'égoutte.

P.L.

 

 

Au profond de la nuit

rentrent les meurtriers

le devoir accompli.

P.L.

 

 

Tendu comme un arc,

l'hiver scarifie

d'une autre ride le visage.

P.L.

 

 

Dans la nuit luisante

résonnent des pas

- un chien lève la patte -

P.L.

 

 

Inconsciente,

la rue se rue

vers sa fin.

P.L.

 

 

Au bal de la nuit

aux phalènes,

le pied glisse

sur les cadavres joyeux.

P.L.

 

 

La brume

nappe le relief

du jardin myope.

PL

 

 

Le rictus du caïman

remonte à l'oeil qui pétille.

Sa proie lui sourit.

PL

 

 

Le lacet défait

flâne près du soulier -

Le nez au vent.

PL

 

 

Elle a renversé son sac

à la recherche de ses clés -

Sourire amusé.

PL

 

 

Elle s'est jetée dans l'étang -

La lune abîmée

de désespoir.

PL

 

 

Où va la nuit dans le noir

quand je me retiens

de bouger et de vouloir?

PL

 

 

Le temps de la cigale

stridule sans fin,

puis tombe la nuit.

PL

 

 

Les bras écartés

il surgit de la neige

l'épouvantail brun.

PL

 

 

Aux oiseaux inquiets

l'épouvantail tend les bras -

Je crais pour ma vie.

PL

 

 

Le crabe rougit

découvrant la baigneuse -

L'eau s'est troublée.

PL

 

Le coin des livres


Réalité

Ch. André Psycho de la peur

Bruno


Precht


Billeter

Rencontres


Ch André


Savoir attendre

Gilligan

EKR

Cyrulnik-Morin


Dejours light
Cyrulnik light
Talaouit
41yAu4IM-BL. SL500 AA300
MFH

Daewoo

 


La phrase du moment

Rien n'est plus pratique qu'une bonne théorie - Kurt Lewin.

 

Patrick Lamarque

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